"C'est l'heure de l'inclusion !"
Pour un élève en situation de handicap, scolarisé dans une ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) ou dans une UEE (Unité d’enseignement externalisée) au sein d’un établissement scolaire, pour certaines activité, pour certaines heures, « c’est l’heure de l’inclusion ». C’est le temps ou l’élève, en réalité scolarisé dans son dispositif spécialisé, en sort pour rejoindre une classe « non spécialisée », « ordinaire ». Cela peut se reproduire plusieurs fois dans la semaine. Symboliquement, il n’est pas dans la classe qu’il rejoint, il y va, il se déplace, il sort de ce à quoi il est identifié et il s’identifie. Pour l’élève concerné, « c’est l’heure de l’inclusion » comme « c’est l’heure de l’orthophoniste », ou « c’est l’heure du psychologue ». Mais s’il faut indiquer ainsi qu’il y a un temps pour l’inclusion, c’est indiquer aussi, et l’admettre, qu’il y a un temps, souvent majoritaire, pour la non-inclusion, autrement dit pour la présence et l’organisation dans un dispositif ségrégatif. Autrement dit, on se satisfait de cette situation étrange qui veut que l’obligation de scolarisation des élèves dans l’école ordinaire souffre de dérogations ségrégatives pour certaines catégories d’entre eux. On va même parfois célébrer cette organisation comme une modalité inclusive.
De la même manière, dire qu’un élève « va en
inclusion » constitue une bizarrerie. Selon la loi en effet, tous les
élèves sont inscrits dans l’établissement scolaire, et à ce titre devraient
avoir le droit d’être, non d’aller, dans une classe de l’établissement scolaire.
Ne pas y être, mais devoir se déplacer pour y aller, témoigne d’une place
réelle pour le moins liminale accordée aux élèves en situation de handicap dans
le système éducatif Dans une telle situation, tout est fait (organisation
séparée, modalités d’accueil dans la classe…) pour que l’élève en situation de
handicap ne puisse pas s’identifier aux élèves (à la classe) qu’il va rejoindre
épisodiquement. La classe l’accueillera certes, le tolèrera sûrement, mais elle
ne le scolarisera pas. L’inscription des élèves dans l’établissement scolaire
(pas encore aboutie pour les élèves en UEE) ne vaut pas scolarisation.
Cela témoigne aussi que le
système éducatif n’est pas inclusif, à rebours des discours d’autocélébration
de l’école inclusive. Dans son fonctionnement administratif et pédagogique, il institue
la pérennisation de deux filières de scolarisation, l’une pour ceux qui ont des
déficiences et des incapacités, l’autre pour ceux qui n’ont ni les unes ni les
autres. Deux filières qui ont leurs racines dans l’histoire des représentations
infériorisantes et excluantes des personnes handicapées. Les dispositifs
spécialisés sont ainsi institués comme dispositifs naturellement destinés à
certains élèves en fonction de certaines caractéristiques individuelles, de
cette façon discriminées. Que dirait-on s’il fallait mettre en place des
filières spécialisées selon le caractéristiques individuelles de couleur de
peau ou de genre ?
Le système a certes changé :
désormais, il tolère, par conviction ou par obligation, la présence d’élèves en
situation de handicap dans l’institution scolaire, mais dans des dispositifs
marginalisés (ou avec un·e AESH), qui ne permettent pas aux
élèves concernés d’être scolarisés dans les classes de l’établissement scolaire.
La présence de ces élèves dans les classes, explicitement prévue pourtant
depuis la loi d’orientation scolaire de 2013, est loin d’être chose acquise.
Les élèves en situation de handicap sont donc davantage à l’école, mais sans en
être véritablement membres. C’est pour cette raison qu’ils « vont en
inclusion », et qu’il rejoignent, comme une aumône, un groupe
« ordinaire, pour « l’heure de l’inclusion ».
Si on définit l’éducation inclusive comme « un processus de
renforcement de la capacité d’un système éducatif donné à s’adresser à tous les
apprenants » (UNESCO, 2017), force est de constater que le fonctionnement
de notre système éducatif français est dans l’incapacité de s’adresser à tous
les apprenants, sauf à reléguer certains dans des dispositifs/filières dédiés,
dits spécialisés. Qualifier ces dispositifs d’inclusifs relève du détournement
du sens des mots, en vue de masquer une réalité qui n’avance que peu vers un
système éducatif inclusif.
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