biographie

Ma photo
Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 5 septembre 2022

L'inclusion : une fausse bonne question ?

L'inclusion : une fausse bonne question ?  

Article publié dans Les Cahiers du travail social

IRTS Franche-Comté 2022. N° 101 p.9-17


Le terme inclusion s’impose dans le paysage sociétal, et en particulier dans le champ médico-social, comme un nouveau paradigme effaçant les phénomènes de ségrégation ou d’exclusion qui pouvaient exister auparavant. Mais l’emploi même de ce mot désigne ce qu’il est censé abolir. Lorsqu’on l’applique à une population, par exemple les personnes handicapées, on prend acte de leur place particulière dans la société : un élève non handicapé est scolarisé, un élève handicapé est inclus ; un salarié est embauché dans une entreprise, un travailleur handicapé est inclus. L’utilisation de ce terme prête par conséquent à ambiguïté, dans les écarts qu’il présente entre des discours volontaristes et d’une part les implicites de ces mêmes discours, d’autre part les pratiques qui sont censées s’en inspirer. La notion d’inclusion pourrait ne pas constituer en elle-même un nouveau paradigme ; elle pourrait gagner à être mise en perspective à travers des réalités de participation sociale, celle-ci pouvant, elle, constituer un nouveau paradigme de pensée et d’action, et dessiner une nouvelle place des personnes en situation de handicap dans la société.

Sous le signe de la participation sociale

Il y a effectivement intérêt à se méfier du terme inclusion, en raison du renvoi qu’il opère sur des personnes qui auraient à se « déplacer » vers le milieu dit ordinaire, le milieu « normal » qui, par définition de fait, ne les inclut pas en raison de ses normes en fonctionnement. Le qualificatif inclusif se prêterait mieux à désigner la réalité et les propriétés de l’inclusion, lorsqu’il qualifie l’environnement dans lequel se réalise le processus d’inclusion et dans lequel se trouve la personne concernée : l’école inclusive, l’entreprise inclusive, le logement inclusif, des transports inclusifs, la ville inclusive… Dans cette dernière configuration, ce serait l’environnement qui se « déplace » vers les personnes, toutes catégories confondues. L’inclusivité des environnements désignerait la dynamique de ce processus de déplacement.

Le plus souvent cependant, l’inclusion est pensée, et donc présentée et communiquée, comme un dispositif, un état ou une situation, qui décrit la présence d’une personne en situation de handicap dans une institution qualifiée « d’ordinaire », c’est-à-dire faite pour « des non handicapés, des valides, des normaux ». Un élève handicapé bénéficie-t-il d’un processus inclusif à l’école, « il va en inclusion » dit-on. Ce propos contredit en lui-même ce qu’il prétend affirmer. Si un élève va en inclusion, c’est que le lieu où il « se rend » n’est pas son lieu d’appartenance. Il peut y être accueilli, accepté, toléré, ignoré, ou même rejeté. Dans ces conditions, il reste en quelque sorte un étranger à l’institution dans laquelle il est censé être inclus. A ce niveau, le terme inclusion n’est sans doute pas bien choisi, dans la mesure où il appelle à qualifier de dispositifs organisationnels qui peuvent contenir beaucoup d’ambiguïtés.

Toutefois, l’inclusivité des environnements ne peut se concevoir et se réaliser sans un certain nombre de conditions et de contextes qui touchent à l’ensemble du fonctionnement sociétal et social. C’est une peu ce qu’exprime le titre de la dernière loi fondatrice du « handicap » : Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (loi n° 2005-102 du 11 février 2005). Si tous les termes en sont importants, nous allons tenter ici de lire le processus inclusif à travers la notion de participation, qui peut apparaitre comme le paradigme par lequel l’inclusion et l’inclusivité trouvent sens en tant que formes réalisées de participation sociale.

L’inclusion serait un mot vide de sens s’il ne signifiait pas que les personnes concernées prennent une véritable place dans les milieux de vie et les institutions dans lesquelles vivent les autres personnes. Que signifierait l’inclusion d’un enfant handicapé s’il se trouve relégué au fond de la classe sans que l’on se préoccupe de lui ? Le critère de l’inclusivité devient dès lors ce que l’on peut qualifier de participation sociale, c’est-à-dire l’effectuation d’une activité ou la tenue d’un rôle par une personne. On ne peut se satisfaire de la définition d’une participation réduite à l’exercice des outils de la loi de 2002 (conseil de la vie sociale, enquête de satisfaction, participation au projet personnalisé, …). Il s’agit bien plus, dans notre hypothèse, d’une participation citoyenne aux activités de la société dans laquelle vivent les personnes concernées. « Une situation de participation sociale correspond à la pleine réalisation d’une ou plusieurs habitudes de vie, résultant de l’interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux » (Fougeyrollas, 2018, p.56), l’habitude de vie étant définie comme « une activité courante ou un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel (…). Elle assure la survie et l’épanouissement d’une personne dans sa société tout au long de son existence. » (id). S’il fallait trouver un critère qualitatif à un environnement inclusif, ce serait certainement celui de participation : l’institution « ordinaire » dans laquelle vit la personne (handicapée) favorise-t-elle la place pleine et entière d’acteur de cette personne en son sein, au même titre que pour toute autre personne ? Le degré de participation indiquerait, dans ces conditions, si cette institution est inclusive ou non.

Posant la participation sociale comme le paradigme de fonctionnement, l’inclusion ne se conçoit comme « réponse organisationnelle » qu’à la notion de situation(s) de handicap, et non à celle de handicap. Le handicap reste attaché aux caractéristiques de la personne, que ce soit au niveau de son fonctionnement ou du statut qui lui est attribué par cette assignation. Dans cette hypothèse, les solutions qui sont requises ou envisagées sont celles de la modification de la personne, entre le pôle de maintien de la différence avec sa mise à distance et celui de sa négation avec la réduction radicale à la norme. L’idéal pour la personne handicapée reste celui de son adaptation à la société (ou à l’école), pour y être intégrée, lorsque c’est possible, avec la plupart du temps des conditions très contraignantes. Une situation de handicap (Fougeyrollas, 2010, Fougeyrollas et al., 2018), au contraire, se conçoit comme un moment, un espace, un lieu, une habitude de vie dans lesquels l’interaction entre les caractéristiques de l’environnement et les caractéristiques de la personne produisent une situation ne permettant pas à la personne de réaliser une activité ou un rôle qui lui importent. Les interactions créent ce que Stiker (2021) qualifie de « condition handicapée ». Les réponses sont ici à chercher dans l’adéquation entre une personne et l’environnement dans lequel elle vit. Un escalier produit une situation de handicap pour une personne qui se déplace en fauteuil ; un plan incliné supprime ou réduit les obstacles au déplacement de la personne, qui peut ainsi se déplacer : la situation de handicap en sera réduite pour l’activité qu’elle veut effectuer. Un bébé qui nait sourd de parents sourds n’est pas en situation de handicap dans sa famille ; il le sera dès lors qu’il sera en contact avec des personnes qui ne connaissent pas la langue des signes (Le Capitaine, 2013). Se pose ainsi, à travers la réalité de leur participation sociale, la question de l’inclusion, ou plutôt celle des environnements inclusifs (école, emploi, espace public, santé) générant des situations de handicap, ou au contraire les réduisant ou les supprimant.

Longtemps, l’inclusion n’a été conçue que comme un approfondissement (Le Capitaine, 2013, 2020) de l’intégration (ou de l’insertion), mot d’ordre qui a inspiré les politiques entre les lois fondatrices de 1975 et 2005. Elle l’est encore, en témoigne la qualification d’inclusives de pratiques auparavant qualifiées d’intégratives et qui n’ont guère évolué. En témoigne encore l’usage extensif du terme à un nombre de plus en plus grand de réalités ou d’objets, le rendant incompréhensible et lui enlevant toute consistance. Aujourd’hui cependant, la différence conceptuelle semble mieux actée. L’intégration exigeait, pour être effective, une changement souvent radical de la personne concernée, allant jusqu’au dépassement et au déni de ses caractéristiques. La condition était qu’elle soit moins différente, plus ressemblante à la norme. C’est pour cette raison que longtemps ne purent postuler à l’intégration que les « moins handicapés », de préférence après avoir soigné ou surmonté leurs incapacités physiques ou psychiques. On retrouve ce modèle aujourd’hui dans les discours qui excluent de l’inclusion les plus « lourdement handicapés ». L’inclusion opère une révolution, ce n’est ni une suite, ni un approfondissement de l’intégration. Dans une société inclusive, le droit de faire partie des institutions ordinaires (école, travail, espace public, logement, etc.) est ouvert à tous par principe, même si la personne ne surmonte pas (ou ne parvient pas à surmonter) ses caractéristiques. Avec l’intégration, un jeune sourd avait pour obligation de mieux entendre et de mieux parler oralement (avec prothèses et rééducation) pour être accepté à l’école ; l’école inclusive accueille l’enfant sourd avec ses caractéristiques (langue des signes, culture, sans vocalisation) avec bien évidemment les médiations nécessaires (enseignement en langue des signes, interprétariat, …) sans vouloir faire de ce jeune sourd un entendant en réduction. L’effectivité de la participation sociale dessine ainsi la frontière entre l’intégration et l’inclusion.

Une constellation conceptuelle et pratique

L’idée d’inclusion, et le modèle inclusif, ne sont pas des idées isolées qui surgiraient ainsi hors de configurations sociétales pour bousculer des pratiques sociales. Elles font partie d’une constellation conceptuelle et de pratiques, dans laquelle d’autres concepts, notions et idées interagissent. Sous le signe de la participation sociale, l’idée d’inclusion ne peut se comprendre que dans le cadre d’une telle constellation.

L’idée d’inclusion est ainsi intimement liée à celle de l’effectivité des droits des personnes. Si pendant longtemps les « traitements » du handicap et des personnes handicapées ont été pensés et pilotés par des approches et des modèles bio-médicaux, médicaux, soignants, réadaptatifs, rééducatifs, individuels (au sein desquels charité et bienfaisance avaient toute leur place), de nouvelles approches ont, partiellement et encore insuffisamment, décalé, voire inversé, les problématiques vers celle de la reconnaissance et de l’exercice des droits. Sortant de ces modèles appelant avant tout la normalisation, la question du handicap se pose désormais en termes de l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap, au même titre que les droits de tout humain. Ces droits ont trouvé leur formalisation en 2006 à l’ONU avec la signature de la Convention internationale des droits des personnes handicapées. L’exercice effectif des droits, en référence aux, et à égalité avec, les droits humains de tous, engage la société à fournir aux personnes en situation de handicap les conditions de « vivre comme tous et avec tous », sans discriminations. Les principes généraux (ONU, 2006, article 3) l’indiquent sans ambages. L’effectivité des droits conditionne l’effectivité de la société inclusive et de la participation sociale des personnes en situation de handicap.

L’inclusion, c’est aussi, et peut-être même essentiellement en termes de modalités, une accessibilité des personnes (Jacob, 2020 ; Kerroumi et Forgeron, 2021) à tous les environnements auxquels elles pourraient prétendre si elles n’avaient pas les caractéristiques qui les empêchent, en raison de leurs caractéristiques personnelles, d’y accéder. Longtemps, la réponse au « traitement social » du handicap s’est appuyée, logiquement, sur la compensation. Logiquement, car le handicap étant caractérisé par des manques (déficiences, incapacités…), et qu’il importait de réduire ces manques, en les soignant, en les rééduquant, en les compensant techniquement, cognitivement, affectivement. Les nécessités de compensation demeurent (soins, prothèses, orthèses, artéfacts technologiques ou numériques, etc.). Elles ne permettent toutefois pas d’être à égalité avec les personnes « valides » dans des environnements qui ont été conçus et qui fonctionnent pour et au bénéfice de celles-ci. L’entrée d’un bâtiment public par un escalier annule toutes les compensations possibles pour une personne en fauteuil. Aussi la participation et l’inclusion des personnes en situation de handicap passe-t-elle par l’accessibilité de tous les environnements dans lesquels elles pourraient vivre, de l’accessibilité au logement ou aux transports à l’accessibilité de l’environnement écrit (par le FALC, facile à lire et comprendre, par exemple) ou des approches pédagogiques. Bien au-delà des contraintes des aménagements raisonnables permettant à telle ou telle personne d’accéder à divers environnements, la notion d’accessibilité universelle (Reichhart, 2021) avance l’idée d’une conception au préalable des « objets », telle qu’ils n’aient pas besoin d’adaptations postérieures.

Alors que dans le passage de l’intégration à l’inclusion, l’on passe d’une problématique individuelle à une problématique écosystémique et sociale, c’est pour mieux valoriser les personnes concernées dans leur place d’acteurs de leur vie. La notion d’autodétermination (Caouette, 2020), plus encore que celle d’autonomie (Jacob, 2020), en constitue la clé opérationnelle. L’autodétermination est le pouvoir et le fait d’agir directement sur les dimensions de sa vie perçues comme importantes, en effectuant des choix non influencés par des facteurs externes indus. C’est être en mesure de choisir son mode de vie, son logement, ses relations, ses activités, ses projets (de vie, personnalisé) sans que des personnes extérieures (professionnels ou institutions par exemple) ne viennent imposer ou trop influencer les choix. Le mot d’ordre brandi par les premiers militants activistes handicapés était (et reste) à ce niveau explicite : « Rien pour nous sans nous ! ». Être en mesure de faire de tels choix, c’est pouvoir s’extraire des filières spécialisées qui condamnent à des non choix ou à des choix limités. Mais cela implique aussi que les environnement choisis soient en mesure d’y répondre en étant ouverts à la présence des personnes en situation de handicap dans les différents segments de la société. D’autres notions proches de celle d’autodétermination participent de la même approche : l’empowerment, le pouvoir d’agir, la valorisation des rôles sociaux (Lemay, 2018), la capacitation par exemple. L’ensemble de ces notions trouve des prolongements pratiques dans le modèle de la pair-aidance ou la pair-émulation (Gardien, 2017), lieu de valorisation de compétences et d’expertise « expérientielles » des personnes concernées et source de renforcement de prises de décision. Le pair-accompagnement est une pratique qui s’est développé à la base dans une visée d’autodétermination des personnes en situation de handicap ou de maladie.

Si les notions d’intégration et d’inclusion sont bien en contradiction entre elles (Gardou, 2012 ; Le Capitaine, 2013), l’inclusion n’abolit pas pour autant l’intégration. La mise en acte de la participation sociale n’est pas exempte d’interactions en tension, voire contradictoires, avec son lieu d’exercice. L’intégration est aussi, sur un plan personnel cette fois, la manifestation d’une volonté de reconnaissance par autrui par assentiment à ce que sont autrui et ses normes, et en même temps une certaine soumission à ce que la majorité (autrui) attend ou est supposée attendre de la personne qui désire s’intégrer. Ces caractéristiques sont connues dans les parcours des « transfuges de classe » : la sortie de la condition initiale est accompagnée d’une certaine fascination pour la classe visée. Elles sont aussi présentes dans les rapport qu’entretiennent les personnes en situation de handicap avec la société dans son fonctionnement habituel. Tant qu’il y a domination (handicapé/valide, élites/peuple), le désir d’intégration reste présent. Un projet inclusif n’a de sens qu’avec une déconstruction de ces dominations, condition d’une véritable participation sociale de tous, sans que quiconque soit exclu en raison d’une position de dominé.

La constellation serait incomplète si n’était pas évoquée la traduction politique de la visée inclusive en termes d’émancipation. La notion de participation sociale ne va pas non plus, en effet, sans un positionnement de la question handicapée sur un plan politique. Le handicap n’est pas une question de santé, la condition handicapée (Stiker, 2021) est une question politique qui interroge la véritable place que la société accorde aux personnes concernées. Ce n’est pas seulement une affaire de moyens de politiques publiques, mais des fondements et de la détermination de ces politiques publiques. Cela s’exprime individuellement dans les demandes d’aménagements raisonnables, et collectivement dans les luttes pour l’accessibilité, la reconnaissance des représentants ou dans l’advocacy par exemple. Pour les personnes en situation de handicap activistes aujourd’hui, la participation sociale n’est pas envisageable sans un renversement des hiérarchies et une lutte contre les rapports de domination établis entre les valides et les non valides, ce qui se traduit pas des prises de position antivalidistes. Le validisme « consiste à introduire une hiérarchie au sein de l’humanité en fonction d’une norme valido-centrée considérée comme un idéal universel à atteindre. Les personnes handicapées sont perçues, à l’aune de l’écart à cette norme, comme des versions amoindries et incomplètes des personnes valides, des êtres ontologiquement inférieurs, cette essentialisation justifiant leur position dominée dans la société en la présentant comme le résultat d’une fatalité biomédicale. » (Morin, 2021). Il constitue, en tant que système politique et idéologique, un obstacle à la reconnaissance de la place des personnes en situation de handicap dans la société. La société inclusive est par conséquent pensée non comme une simple présence, passive et dominée, mais comme une place revendiquée à égalité avec les valides, sans discriminations et sans catégorisation essentialisante, enjeu de l’émancipation des personnes en situation de handicap. La pair-aidance, dans ce cadre, est considérée comme la reconnaissance de l’expertise des personnes dans l’évaluation des situations de handicap et des réponses sociales à mettre en œuvre (Gardien, 2017).

Chacun de ces concepts, notions et pratiques, est un passage obligé par les autres, constituant un modèle écosystémique dynamique favorisant la reconnaissance des personnes handicapées dans leur place pleine et entière dans les institutions de la société. Une telle constellation conceptuelle et pratique constitue une véritable révolution par rapport aux modèles antérieurs qui ont présidé à la « question sociale » des personnes handicapées. Ces modèles étaient indubitablement éloignés des et contraire aux postulats, principes et paradigmes d’action qu’engage ce nouveau modèle. On ne peut donc s’étonner de voir que ce modèle, celui d’une société inclusive dans tous ses segments, se heurte à de nombreux obstacles pour son implémentation dans ses différents segments.

Des obstacles majeurs

L’unanimité du choix politique inclusif et de la participation sociale est battue en brèche par des réalités qui ne s’y plient pas : difficile accueil des élèves en situation de handicap à l’école, taux de non emploi disproportionné par rapport à la population non handicapée, accessibilité plus que partielle aux espaces publics et de vie, insuffisance de places en dispositifs spécialisés, etc. L’écart est grand, parfois insurmontable, entre, d’une part, les discours, les intentions, la volonté politique et aussi les revendications des personnes en situation de handicap, et, d’autre part, l’accessibilité effective aux droits, aux institutions ordinaires, à la participation sociale, à l’autonomie, à des habitudes de vie satisfaisantes, etc. Cet écart est-il de nature à remettre en question le paradigme de participation sociale et la perspective inclusive ?

Au regard de telles dichotomies, les réalités pourraient laisser penser qu’il s’agit d’un leurre ou d’une douce rêverie, tant l’écart est grand. Mais la grandeur de l’écart est-il dû à l’irréalisme du modèle ou aux obstacles de toutes sortes qui l’empêchent d’émerger. Car si l’inclusion ne peut être un dispositif opérationnel, la perspective de participation sociale maximale peut constituer une utopie, un idéal, qui donne une direction d’évolution et de changements, qui permet de poser des balises pour la pensée et l’action, pour les grandes et petites décisions organisationnelles et professionnelles. L’inclusion et la participation sociale seraient plutôt un horizon vers lequel on s’achemine, et duquel on se rapproche au fur et à mesure qu’on met en œuvre des décisions, et qui s’éloigne aussi au fur et à mesure qu’on s’en approche. L’écart n’invalide pas le modèle, mais il rend plutôt visibles les obstacles à sa mise en œuvre. Parmi les raisons qui peuvent expliquer cet écart, peut-être peut-on aussi s’interroger sur la conception et les modalités de mise en œuvre des politiques inclusives, et sur leur pertinence quant à un objectif de faire en sorte que vivre ensemble, à égalité et avec les mêmes droits, puisse devenir la norme dans notre fonctionnement sociétal.

Le projet inclusif et participatif, loin d’un consensus de façade, se heurte frontalement à des obstacles autrement puissants, ceux qui sont présents dans les représentations, les valeurs et les pratiques sociales de la société qui porte pourtant un tel discours. Comment développer les droits du travail des personnes en situation de handicap quand les droits des salariés et autres travailleurs connaissent des restrictions ? Comment développer l’habitat inclusif quand l’accessibilité des logements est réduite (loi ELAN) ? Comment promouvoir l’autonomie des femmes en situation de handicap quand leurs allocations dépendent des revenus de leur conjoint·e ? Comment scolariser des enfants en situation de handicap quand l’école est sélective et excluante et que manquent les accompagnants, les enseignants, la formation ? Le projet participatif et inclusif ne peut se concevoir, pas plus qu’être mis en œuvre, sans que la société se préoccupe de l’inclusion et de la participation de tous, et pas seulement des personnes en situation de handicap.

Il pourrait être plus simple, et plus opportuniste, d’utiliser le terme inclusion, qui peut permettre en définitive de rejeter sur les personnes concernées la responsabilité de leurs difficultés de participation sociale, que d’utiliser le terme et de rendre effective la notion de participation sociale, perspective potentielle d’émancipation, non seulement des personnes en situation de handicap, mais de tous, condition sans laquelle une seule catégorie ne peut prétendre y accéder.

Bibliographie

Caouette, M. (2020). Adopter des pratiques professionnelles qui favorisent l’autodétermination. Dans M. Masse, G. Piérart, F. Julien-Gauthier et D. Wolf (dir.). Accessibilité et participation sociale, (93-114). IES Editions.

Fougeyrollas, P. (2010). La funambule, le fil et la toile Transformations réciproques du sens du handicap. Presses Universitaires de Laval.

Fougeyrollas, P. et al. (2018). Classification internationale Modèle de développement humain – Processus de production du handicap (MDH-PPH). RIPPH

Gardien, E. (2017) L’accompagnement et le soutien par les pairs. PUG

Gardou, C. (2012) La société inclusive, parlons-en - Il n’y a pas de vie minuscule, érès.

Jacob, P. (2020). Le droit à la vraie vie - Les personnes vivant avec un handicap prennent la parole. Dunod.

Kerroumi, B. et Forgeron, S. (2021). Handicap : l’amnésie collective ? La France est-elle encore le pays des droits de l’homme ? Dunod

Le Capitaine, J-Y. (2013, mars). L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds. Empan, 89, 125-131.

Le Capitaine, J-Y. (2020). De l’inclusion à l’idéal inclusif des personnes en situation de handicap, une aventure qui s’invente ensemble. Dans S. Fournier et J. Rouzel (dir.). L’éducation spécialisée Enjeux cliniques, politiques, éthiques. (77-96). L’Harmattan.

Lemay, R. (entretien avec L. Delhon) (2018). Valorisation par les rôles sociaux Une dynamique pour l’inclusion. Presses de l’EHESP.

Morin, C. (2021) La lutte antivalidiste est une lutte d’émancipation, Mouvements, 13 octobre 2021. en ligne : https://mouvements.info/la-lutte-anti-validiste-est-une-lutte-demancipation/ consulté le 12 mars 2022.

ONU, (2006) Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Reichhart, F. (2021) Du handicap à l’accessibilité : vers un nouveau paradigme, Editions de l’INSHEA et Champ social.

Stiker, H-J. (2021). Comprendre la condition handicapée Réalité et dépassement, érès.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire