Faut-il des classes spécialisées ?
L’argumentation en faveur des classes spécialisées pour enfants en situation de handicap s’est toujours appuyée sur cet argument : « c’est pour leur bien », en masquant souvent l’argument complémentaire : « c’est aussi pour le bien des normaux ». Qu’elles concernent des enfants en situation de handicap (en remontant à l’origine des classes de perfectionnement pour les « arriérés éducables », et l’asile pour les « arriérés non éducables » en 1909) ou des enfants en grandes difficultés scolaires, voire en échec (classes d’adaptation, Section d’enseignement général et professionnel adapté), la ségrégation de ces élèves dans des classes spéciales se justifierait en ce que ces enfants auraient des besoins spéciaux, qui n’auraient rien à voir avec les besoins « normaux ». Il est présumé que les réponses (pédagogiques, éducatives et thérapeutiques) à ces besoins sont par nature, par essence, spéciales ou spécialisées, et que faute de ces réponses les enfants concernés ne pourraient pas se développer. C’est donc pour leur bien !
Un autre
discours sous-jacent ne dit pas que l’école serait légitimement faite pour les
« normaux », ceux qui tirent profit plus ou moins correctement du
fonctionnement scolaire. Participe de ce registre de pensée le souhait (le
fantasme) d’avoir des classes homogènes, avec des élèves peu ou prou du même
niveau, ou d’avoir de « bonnes » classes dans de bons établissements
(c’est l’un des problèmes de la désaffection des postes dans les quartiers
difficiles). Toujours pour le bien de chacun. Ces fonctionnements postulent de
la légitimité d’une ségrégation, de sa nécessité même, avec par exemple d’un
côté les « bons » élèves et de l’autre tous les autres, parfois
jusqu’à la caricature dans certains établissements. Avec pour conséquence
l’éloignement de l’école de certaines catégories d’enfants : en situation
de handicap bien évidemment, mais aussi enfants roms, d’origine étrangère…
Mais avec
l’inclusion pourrait-on avancer, tout change ! Pas si sûr ! Pour les
enfants en situation de handicap, la ségrégation est bien instituée avec les
ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire, sous responsabilité de
l’Education nationale) et les UEE (Unités d’enseignement externalisées, et
quelques autres dispositifs, sous responsabilité de la Solidarité et handicap).
Est-ce « pour le bien » de ces élèves ?
De nombreuses
études l’ont mis en évidence, une telle organisation dessert tous les élèves
écartés ou relégués. Une classe constituée de « mauvais » élèves ne
permet pas à ceux-ci de progresser autant que s’ils étaient dans une classe
avec des élèves de différent niveaux. Bien au contraire, « l’effet
classe » (ou « effet de pairs ») est négatif et les conforte
dans leur sentiment d’incompétences supposées et affirmées. « L’effet
Pygmalion » se réalise : une classe d’enfants se considérant et
considérée comme n’ayant pas beaucoup de capacités progressera moins. Les
mettre ensemble c’est mettre des obstacles à leur développement. Par ailleurs,
ce type de ségrégation n’a pas d’effet positif non plus sur le plan des
apprentissages sur les élèves « ordinaires », sauf l’effet de
ségrégation sociale. La ségrégation spécialisée ne fait que refléter, dans
l’organisation du système comme dans les postulats idéologiques des acteurs,
les missions contradictoires confiées à l’école par notre système
scolaire : « trier, sélectionner et assigner les élèves à un
destin scolaire, bien davantage que de tirer vers le haut ceux qui sont
éloignés de la norme scolaire » (D.GUILBAUD, L’illusion
méritocratique, Odile Jacob, 2018)
Il est
évident que dans de tels postulats, les classes spécialisées sont évidentes,
cohérentes et légitimes. Et l’on comprend comment les incantations inclusives
des pouvoirs publics se heurtent à ce substrat idéologique, et conduisent à des
impasses et des impossibilités quant à l’inclusion. On est peut-être sur des
dispositifs pour chacun (permettant à certains de bénéficier des meilleures
filières d’élites, et à d’autres d’être relégués) mais certainement pas sur des
dispositifs pour tous, qui accueilleraient tous les enfants dans leur diversité
et ensemble. C’est pourtant ces dernières modalités qui définissent
l’inclusion.
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