L'inclusion est-elle soluble dans la bienveillance ?
L’inclusion des élèves en situation de handicap est-elle compatible avec le maintien des inégalités scolaires ? Malgré de nombreuses réformes dont l’objectif se présentait explicitement comme une réduction des inégalités scolaires, la situation n’évolue guère et il apparait même que les inégalités (de chances comme de fait) devant la réussite scolaire s’accroissent, que les déterminismes sociaux face au fonctionnement de l’écrit n’ont pas disparu, que les outils d’action des réformes mettent en place des dispositifs qui vont à rebours de l’esprit (ou au moins de la lettre) de ces réformes. Autrement dit , les enfants disposant de ressources ou d’atouts initiaux (financiers, sociaux, cultuels) sont en meilleures conditions de formation qui les mèneront vers des parcours satisfaisants, tandis que ceux qui n’en disposent pas sont destinés le plus souvent à des difficultés d’apprentissages scolaires, à des échecs de scolarité ou des parcours peu satisfaisants. Comment des enfants, les élèves en situation de handicap, dont on déclare aujourd’hui qu’ils doivent être inclus, peuvent-ils s’inscrire dans des processus aussi inégalitaires ?
La fonction transmissive de l’école, telle qu’elle s’est
exercée par le passé, et qu’elle s’exerce encore massivement aujourd’hui, était
co-existentielle d’un fonction reproductrice des classes sociales. Les savoirs
enseignés, s’ils étaient légitimes, excluaient ceux qui n’étaient pas déjà
sensibilisés à ces savoirs, ceux qui n’en avaient pas « l’habitus ».
La méritocratie républicaine a certes corrigé le processus, mais seulement à la
marge. Autrement dit, l’école traditionnelle, qui ne se préoccupe que de la
transmission du savoir, associée à des processus de sélection et de
reproduction sociale, a fait la preuve de son incapacité inclusive (ce n’était
pas son objet), pour les enfants en situation de handicap comme pour tous les
enfants qui ont rencontré ou rencontrent des difficultés plus ou moins
importantes dans leur parcours scolaire, et qui appartiennent, le plus souvent
à des milieux défavorisés.
Dans ce contexte, la bienveillance pourrait-elle être une
attitude permettant de résoudre le problème de la scolarisation pour tous, élèves
en situation de handicap compris ? C’est en tout cas un discours que l’on
peut entendre ici ou là : « pour accueillir une élève en situation de
handicap dans sa classe, il faut (ou il suffit de) faire preuve de
bienveillance ». Qui désapprouverait un appel à la bienveillance qui
permettrait d’éviter la souffrance, les humiliations, l’ennui, l’absence de
reconnaissance des élèves qui rencontrent quelques difficultés, ou qui ne sont
pas conformes aux exigences de l’école ?
Mais la bienveillance adaptée à ce genre de situations et
dans un tel contexte de fonctions de l’école recèle ses propres pièges. Que
peut bien signifier la bienveillance dans une pratique transmissive et
sélective ? Le plus souvent cela va se traduire par une baisse fataliste
des exigences. La bienveillance peut prendre la forme d’une simple tolérance
qui se traduit, en termes d’apprentissages, à abandonner les objectifs
fondamentaux relatifs aux compétences de base : « de toutes façons,
il est handicapé, il ne peut pas apprendre autant que (ou comme) les autres ».
Cette bienveillance traduit plutôt l’abandon d’un projet d’égalité de chances
pour les apprentissages. C’est une exclusion de l’intérieur, où les plus en
difficultés par rapport à la transmission des savoirs, dont les élèves en
situation de handicap, sont en définitive laissés pour compte, abandonnés à
leurs incapacités et à leurs difficultés. Le moins que puisse faire un système
sélectif et élitiste est de ne pas faire souffrir et exclure brutalement des
élèves. Mais ce sont de bien piètres ambition et éthique éducatives.
A l’inverse, la bienveillance peut se traduire aussi par un
fonctionnement pédagogique de différenciation, avec des exigences
d’apprentissage mises en conséquence. Mais, ici il vaudrait mieux parler
d’éthique éducative de développement d’un élève, la bienveillance consistant dans
les modalités plutôt que dans l’abandon d’exigences. La bienveillance,
nécessaire et incontournable, ne doit pas servir de masque à un manque d’ambition
éducative et à la pérennisation d’une sélection excluante.
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