La vision des inclus - Ethnographie d'un dispositif pour l'inclusion scolaire
de Godefroy LANSADE (INSHEA-Champ Social, 2021)
Godefroy Lansade nous offre dans cet ouvrage une
« ethnographie d’un dispositif pour l’inclusion scolaire ». Il s’agit
bien, comme l’indique le titre principal, d’une « vision des
inclus ». De la propre vision de ces jeunes lycéens (lycée professionnel)
dits handicapés mentaux, et participant, selon des modalités diverses, aux
formations dispensées dans ce lycée. Comment ils ressentent, et se ressentent
dans le lycée, dans le dispositif, par rapport aux formations proposées et aux
objectifs du diplôme, par rapport aux autres lycéens et à l’équipe éducative ;
ce qu’ils en disent et ce qu’ils en taisent, ce qu’ils perçoivent de leur
situation et de l’environnement dans lequel ils se trouvent…
Mais la vision également de l’environnement inclusif : les acteurs éducatifs (proviseure, enseignants…) et les autres élèves du lycée, qu’ils côtoient plus ou moins. L’expérience d’un voyage scolaire d’une semaine avec une classe du lycée est à ce titre exemplaire des interactions et des interrelations établies entre les élèves dits handicapés mentaux et les « normaux ». Sont exemplaires aussi des représentations courantes les discours tenus et les actes posés en ce qui concerne l’implantation de l’Ulis dans le lycée et la manière dont les enseignants accueillent ces élèves.
Il s’agit bien d’une ethnographie très précise, d’une présence
intensive sur le terrain, qui permet à l’auteur de décrire et d’analyser au
plus près l’expérience ordinaire vécue par le groupe d’élèves inscrits dans le
dispositif Ulis, ainsi que le contexte dans lequel fonctionne ce dispositif au
sein du lycée. C’est de cette manière que l’on peut observer, mis en évidence
tout au long de l’ouvrage, les tensions, les contradictions, les perceptions,
les contraintes (personnelles ou institutionnelles), qui font le quotidien de
ces jeunes lycéens dit handicapés mentaux. On peut savoir gré à l’auteur de
mettre en évidence également la place de ces élèves dans la compréhension
qu’ils ont eux-mêmes de leur situation et de leur contexte.
Godefroy Lansade a organisé son propos sur trois dimensions.
La première dimension concerne le processus physique d’inclusion, qui lui a
permis de « montrer que ce qui semblait réglé par le droit ne l’est
manifestement pas. Autrement dit, l’égalité d’accès au lycée constitue une
égalité de droit, et non une égalité de fait » (p.350). Cette
hypothèse est illustrée en particulier pas les choix permis dans le cadre de
« l’attribution de places ». En effet, dans un contexte de
concurrence et d’un nombre réduit de places (dans l’Ulis mais aussi dans
certaines sections professionnelles du lycée), sont mises en œuvre de savantes
stratégies de sélection des élèves dit handicapés susceptibles d’y effectuer
leur formation professionnelle. De la même manière, l’exigence d’autonomie
constitue une barrière pour un parcours en Ulis lycée.
La deuxième dimension concerne la place sociale, la manière
d’exister au sein de l’espace social du lycée. Ici sont mis en évidence les
processus d’assignation des statuts, « le lien indéfectible entre le
mode de désignation et le traitement social qui en découle » (p.351).
C’est ainsi par exemple que la caractérisation « handicap mental » a
joué un rôle dissuasif dans la mise en place de l’Ulis, et dans les relation
entre les élèves de l’Ulis et les autres élèves du lycée.
La dernière dimension est dénommée épistémique, et elle
traite des conditions de possibilité d’appropriation des savoirs. La
particularité de cette appropriation consiste dans un tel dispositif en une
répartition entre les cours au sein de la classe professionnelle du lycée
(savoirs théoriques et savoirs pratiques) et des séquences pédagogiques
diverses au sein de l’Ulis. La volonté et les contraintes de normalisation de
l’institution scolaire (programmes, modalités pédagogiques, enjeux de la
certification…) rend cette répartition fragile, à tel point que certains élèves
cessent d’être inclus (de leur propre choix ou du choix institutionnel) pour
revenir dans l’Ulis, où ils trouvent davantage leur compte.
L’inclusion est-elle pour autant une impasse ? Non,
affirme l’auteur. Il faut plutôt la considérer comme un processus qui se heurte
certes à des contraintes majeures mais qui n’en a pas moins une valeur éthique.
Il évoque à ce sujet un « concept horizon ».
Extraits de la présentation de l’éditeur :
« L’intérêt politique pour l’inclusion scolaire a
été suivi de près par une multiplication de travaux autour de sa définition et
des effets de sa mise en acte à l’aune de ce qu’elle devrait être. Le problème
qui est posé ici l’est de manière ouverte, à distance de toutes positions
essentialiste et normative. Il s’agit de décrire et d’analyser le plus finement
possible la politique publique d’inclusion scolaire en « train de se
faire » à travers le point de vue des individus qu’elle prend pour cibles
et celles et ceux qui ont la responsabilité de la rendre effective. Cette
perspective invite à rester attentif aux effets de l’ambition inclusive et,
plus particulièrement, à ceux qui résultent d’une combinaison de conséquences
directes (matérielles et symboliques), mais aussi aux appropriations multiples
(adaptation, usage détourné, etc.) que font les acteurs de manière la plus
concrète. Peu de travaux se sont intéressés aux points de vue de ceux qui
vivent l’inclusion à la première personne – les « inclus » – et de
surcroît, lorsqu’il s’agit d’adolescents et de jeunes adultes désignés
handicapés mentaux.
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