L'humain (handicapé) n'est-il que besoins ?
Ne sommes-nous définis, nous humains, que par nos besoins ? L’émergence philosophique de la notion d’individu et son paroxysme individualiste d’aujourd’hui, une société consumériste qui développe un marché de réponses à des besoins parfois créés pour l’occasion, tout ceci pourrait nous laisser penser que nous ne sommes que besoins. Mais, même s’ils peuvent être identifiés, catégorisés et hiérarchisés (comme dans la pyramide de Maslow par exemple), cela suffit-il à caractériser l’humain ? Bien évidemment, les besoins ne peuvent être ignorés. Mais il n’empêche que, pression consumériste faisant loi, nombre de besoins ne deviennent « vitaux » que parce que la société telle qu’elle fonctionne les rend prioritaires : se faire livrer des courses en dix minutes dans certaines grandes villes, grâce à de nouvelles applications, est le type même de besoin créé par une société de l’immédiateté, de la sur-consommation et presque du caprice individuel. Il est susceptible de devenir une habitude de vie pour certaines catégories de consommateurs, se généraliser par mimétisme, devenir une manière de vivre, un « how to be », et s’instituer comme vital.
L’institution du besoin comme définition de l’humain opère
une réduction conceptuelle anthropologique et élimine d’autres manières de
concevoir l’humain. Celui-ci est aussi constitué de rêves, de projets, de
demandes, de désirs, … et de vulnérabilités. L’être humain se trouve, en tant
qu’humain, dans des positions/relations d’égalités/inégalités,
domination/soumission, proximité/éloignement, autonomie/hétéronomie, etc, qui
ne relèvent pas de la notion de besoin.
Lorsque des personnes sont catégorisées administrativement,
politiquement et idéologiquement (handicapés, personnes âgées par exemple), le
plus souvent c’est aussi la catégorie de besoins qui détermine la clé d’action
auprès d’elles. Dans ce contexte, la pyramide de besoins de Maslow se trouve
d’un intérêt pratique. Sa traduction opérationnelle se manifeste par les
priorisations des besoins considérés comme vitaux (le bas de la pyramide), au
détriment des besoins des strates supérieures. Il n’est que de considérer
l’utilisation du GEVA pour les personnes âgées : les besoins considérés et
à prendre en compte en termes de ressources budgétaires et humaines sont les
seuls besoins vitaux. En EHPAD, les temps d’échanges, de discussions avec les
soignants ou les accompagnants ne sont pas comptés comme besoins. L’acte de
toilette est coché comme effectué, dans un temps préprogrammé, quelque soit le
contexte de réalisation. La non maltraitance, ou la bientraitance, est évaluée
sur l’effectivité technique de l’acte de toilette, pas sur le contexte de
réalisation (temps, échanges, complicités…), qui lui est hors besoins vitaux.
Plus généralement, les temps véritablement humains sont
bannis dans les technologies d’accompagnement, sur l’argument de l’efficience
des réponses aux besoins prioritaires. Prendre un café avec un
« usager » de l’intervention sociale, aller au cinéma, etc. sont une
perte de temps professionnel. Cela répond peut-être à des besoins supérieurs,
pas à des besoins vitaux. Cette approche utilitaire réduit bien les personnes à
n’être que des besoins limités à la vie quotidienne considérés comme vitaux et
prioritaires à satisfaire.
Par ailleurs, lorsque la notion de besoin est invoquée, c’est bien souvent, en relation avec les incapacités. Et là ce sont les professionnels qui les identifient en fonction de leurs grilles, relativement aux normes d’une population « normale ». C’est l’approche qui caractérise la réforme de financement du secteur médico-social (SERAFIN-PH), qui organise une adéquation entre les besoins des personnes handicapées et les prestations qui peuvent leur être fournies par des services, sans identifier le point de vue de la personne elle-même, ses demandes, son appréciation de la situation, ses projets. La personne en situation de handicap n’est plus que liste de besoins.
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