Déségrégation et accompagnement total
de Hugo DUPONT (PUG, 2021)
Des injonctions fortes traversent le secteur médico-social
aux fins de transformer les offres de service et prendre le « virage
inclusif ». Au regard des fonctionnements, en France, de la « prise
en charge » des personnes en situation de handicap, il y a certes fort à
faire. Les personnes en situation de handicap subissent exclusions,
discriminations, ségrégation et domination, non seulement en raison du regard
anthropologique porté historiquement sur le handicap (qu’une campagne de
communication « changeons de regard » ne suffira pas à modifier) mais
aussi en raison de la nature des politiques publiques et des fonctionnements
institutionnels existants.
C’est ce à quoi s’attache cet ouvrage de Hugo Dupont. Des observations de terrain et des entretiens, essentiellement dans le secteur des jeunes, donc dans le cadre de la scolarisation, lui permettent de décrire avec précision, et d’interroger, les modalités par lesquelles se met en place ce virage inclusif et ce que l’on nomme désinstitutionnalisation. Ceci chez les donneurs d’ordre, les maitres d’œuvre, les professionnels de terrain et les parents des usagers mineurs. A ce niveau tout le monde n’est pas à la même enseigne.
Et tout d’abord une précision sémantique : le titre
comporte le mot déségrégation, au lieu de désinstitutionnalisation, pourtant
aujourd’hui banalisé. La désinstitutionnalisation pourrait signifier que la
personne, handicapée ou non, se trouve hors de toute institution, dans une
abstraction non sociale ou socialisée. Or tous nous vivons dans et avec des
institutions : la famille, l’école, l’entreprise, l’espace public, etc. Ce
que signifie le terme désinstitutionnalisation utilisé dans les instances
internationales, c’est plus précisément la sortie des institutions spécialisées
ségrégatives. Ce que l’auteur traduit, me semble-t-il à juste titre par
déségrégation. « Ainsi est-il inutile de continuer à penser la
désinstitutionnalisation comme étant celle des personnes handicapées. Il s’agit
davantage en réalité de remettre ces personnes dans les institutions ordinaires
de socialisation, ordinaires dans le sens où elles sont celles qui socialisent
l’immense majorité des individus, à savoir la famille et l’école. »
(p.26)
Dans l’ouvrage, l’auteur analyse précisément deux
dispositifs censés répondre à cette politique de terrain de la
déségrégation : le dispositif d’orientation permanent (DOP) pour les
enfants handicapés considérés sans solution d’une part, et d’autre part les
unités d’enseignement externalisées (UEE). Le premier « permet de
construire des accompagnements horizontalisés et individualisés par le recours,
notamment, à des services de proximité dans un contexte de diminution du nombre
de places en établissement spécialisé en usant d’une logique de file active
plus que de places. » (p.64). Le second « tente de faire
revenir progressivement les jeunes vers une institution de droit commun
centrale dans la vie et pour la socialisation d’un enfant : l’institution
scolaire… L’institution scolaire, loin de disparaitre ou de s’affaiblir,
reconnait son insuffisance voire son impuissance en la matière et laisse la
place à un dispositif confié au secteur médico-social ».(p.137)
Ces évolutions, ainsi que d’autres de même nature, sont favorisées
et incitées par une politique publique offensive utilisant différentes
dispositions réglementaires : les CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs
et de moyens) et les GCSMS (groupements de coopération sociale et
médico-sociale) et autres dispositifs comme les regroupements d’associations.
Ils constituent une véritable arme de guerre pour l’évolution de l’offre de
service, la diminution de places d’établissement au profit des places en
service, dans une sorte de « chantage » aux financements.
Ces évolutions participent-ils du « virage inclusif » ? Rien n’est moins sûr. « Sommes-nous en train de passer d’une forme d’institutionnalisation du handicap particulière, ségrégative, à une autre, inclusive, permettant de sortir les personnes handicapées de leur condition handicapée, c’est-à-dire en ayant cessé de leur imposer un marqueur identitaire qui les assigne à une place, symbolique certes, mais tout de même particulière parce que liminale. » (p27). S’il y a bien volonté politique de déségrégation, on voit bien aussi comment l’inclusion dans les institutions ordinaire est soumise à des contraintes parfois insurmontables. Le DOP est-il bien une transformation de l’offre de service, mais, pour bénéficier du DOP, « deux conditions doivent être réunies qui toutes deux renvoient à la responsabilité de l’usager. D’une part, il ne doit pas avoir contesté la notification qui lui a été faite par la CDAPH sur proposition de l’EPE… D’autre part, il faut que l’usager ait effectué des démarches auprès des établissements, services ou autres dispositifs qui lui ont été notifiés afin de prouver sa bonne foi. » (p.52)
Par
ailleurs, la notion de besoins (qui faut-il le rappeler constitue l’ossature de
la réforme SERAFIN-PH) se substitue à et oblitère celle de demande de l’usager
pour s’imposer dans les processus d’orientation et d’accompagnement, selon
« le principe qui consiste à faire passer les besoins avant toute autre
préoccupation pour proposer des notifications à la CDAPH. Même la demande des
usagers ou celle de leurs parents lorsqu’ils sont mineurs ne rentrent alors
plus que partiellement en ligne de compte. » (p.55). Combien de fois
n’a-t-on pas entendu des professionnels arguant du besoin de tel enfant en
soins, en interventions spécialisées pour orienter sinon contraindre à une
orientation spécialisée, là où les parents auraient souhaité une scolarisation,
accompagnée, en établissement ordinaire ?
Il
ne faut pas oublier non plus que le virage inclusif et l’évolution de l’offre
de services s’inscrivent dans des évolutions de prestations régies sur un plan
politico-économique. « Ainsi, transformer l’offre d’accompagnement
va-t-il au-delà d’une simple conversion de places d’internat en places de
service ambulatoire. Cette transformation se double de logique de gestion afin
de standardiser, d’optimiser, de faire des économies d’échelles, de réduire le
nombre de gestionnaires. » (p.86). La verticalisation de ces
injonctions (contraintes, recommandations, etc.) ne favorise pas
l’appropriation des enjeux d’inclusion par les professionnels de terrain, à
tous les niveaux.
Quant aux UEE, si elles sont effectivement un outil de
déségrégation, ont-elles pour autant une dynamique inclusive au sein des
établissements scolaires ? Là aussi, les pratiques observées mettent en
évidence que l’on est loin du compte. « D’une part, les UEE fonctionnent comme une enclave
médico-sociale au sein de l’Education nationale : cette dernière
sous-traite la prise en charge de ces élèves qu’elle parvient à légitimement
disqualifier scolairement. Tout juste restent-ils tolérés du fait de la
présence de tiers légitimant eux-mêmes leur place en revendiquant des
compétences qui ont pour conséquence de mettre en avant les difficultés des
jeunes à pouvoir prétendre à un statut d’élève incontestable. D’autre part, les
UEE doivent leur pérennité à la pratique de sélection systématique des élèves
qui en bénéficient. » (p.137). Dans ce contexte, les parents des usagers en âge
scolaire sont davantage dans le registre d’un consentement /adhésion au projet
qu’on leur propose plutôt que dans le libre choix éclairé de leur demande d’orientation.
Au
regard des transformations actuelles, l’hypothèse de l’auteur pourrait nous
inspirer un « nouveau questionnement, qu’il présente dans sa conclusion :
n’est-on pas en train de passer, dans ces phénomènes de déségrégation et
d’évolution d’offres de services, de l’institution totale à un accompagnement
total, englobant tous deux tous les aspects de la vie d’une personne ?
Extraits de la présentation
La déségrégation des enfants handicapés issus
d’établissements spécialisés et leur intégration au sein de l’école ordinaire
ont-elles un effet sur la perception et la place du handicap dans notre
société ? Chaque rentrée et l’occasion pour les ministres de l’Education
nationale successifs de rappeler leur souhait de voir les enfants handicapés
profiter d’une inclusion au sein de l’école ordinaire. Dans ce but, la
circulaire du 2 mai 2017 a planifié la fermeture progressive des établissements
spé
cialisés du secteur médico-éducatif pour les enfants handicapés. Peut-on
dire qu’il s’agit ) à proprement parler d’une politique d’inclusion de ces
enfants en milieu ordinaire qui participe d’une désinstitutionnalisation du
handicap ?
Hugo Dupont s’empare de l’actualité de la réforme,
interroge les professionnels, les enseignants, les parents pour comprendre les
enjeux qui se cachent derrière cette promesse de déségrégation et d’inclusion
présentée comme un nouveau régime de protection sociale des enfants handicapés.
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