Ni patient, ni consommateur (ou client)
Les personnes en situation de handicap ont pendant longtemps été considérées comme des patients, objets de diagnostics, de traitements, de soins et de rééducations. Certains établissements spécialisés à forte présence médicale sont encore identifiés à leurs « blouses blanches ». Dans les établissements et services accueillant des enfants ou des adultes handicapés, si c’est le terme « usager » qui définit administrativement les personnes accompagnées, les professionnels médicaux et paramédicaux qui y travaillent ont encore des patients. Héritant des anciennes représentations du handicap, l’utilisation de ce terme renvoie à une conception individuelle et biomédicale, où le handicap est l’équivalent de la déficience et des incapacités conséquentes. Avoir un patient, c’est par conséquent chercher à le « guérir », à améliorer son fonctionnement corporel (physique ou psychique), à le remettre en bonne santé et/ou dans le droit chemin, dans les normes de fonctionnement communes à tous.
Le concept a heureusement évolué dans les recherches
scientifiques, dans les orientations politiques ainsi que dans les
revendications et les luttes des personnes en situation de handicap. Il n’est
plus un problème de santé, individuel. Les personnes vivent des situations de
handicap lorsque l’environnement met des obstacles à leur participation sociale,
lorsqu’ils n’ont pas accès aux services pour tous, lorsque leurs droits ne sont
pas respectés ou pas effectifs. Sur ce plan une personne handicapée ne peut
être un patient, en tout cas pas plus que chacun d’entre nous, dans le moment
où nous avons besoin de soins et rencontrons un médecin. Lorsque j’ai une
maladie, je ne suis pas un patient 24 heures sur 24.
Afin de sortir de cette approche réductive et normalisatrice
du patient, avec ses conséquences excluantes, et de s’extraire des conditions
peu enviables des personnes en situation de handicap dans les institutions
spécialisées eu égard à leurs droits, à leur participation sociale et à leur
autodétermination, une autre approche s’est faite jour, et a été préconisée.
Celle de considérer les personnes concernées comme consommateurs des services
qui leur étaient dus. De patients, ils devenaient consommateurs et clients,
avec l’idée de liberté de choix attachée à ce dernier rôle. Devenir client
devenait émancipateur des lourdeurs institutionnelles : une personne en
situation de handicap ne serait plus soumise aux institutions qui décidaient à
sa place, pas plus qu’aux milieux médicaux qui imposaient leurs valeurs et
conditions de vie.
L’approche consommateur ou client fait l’impasse sur les
évolutions environnementales nécessaires à l’émancipation des personnes en tant
que membres d’une société. Ou plutôt elle postule qu’elle va elle-même modifier
les environnements, ce que rien n’atteste. Elle peut certes permettre à des
individus (souvent d’ailleurs ceux qui se débrouillent le mieux, les plus
« adaptés ») de s’en sortir dans les meilleures conditions, comme on
le voit dans le monde d’aujourd’hui massivement marchandisé. Mais il s’agit toujours
d’une solution individuelle qui est censée, en étant cumulative, faire le
progrès de tous. Or ce progrès de tous, général, de tous y compris les
personnes en situation de handicap, passe aussi et certainement par des
évolutions sociales et sociétales « collectives » qui prennent en
compte l’humain, et les humains dans leur globalité, et pas seulement comme des
homo oeconomicus. Une, ou plusieurs, personne qui bénéficie d’avancées
en tant que consommateur ne fait pas le bonheur d’une société. Un consommateur
ou un client ne participent pas d’une émancipation individuelle et
collective : cela se saurait !
Les activistes handicapés ne s’y trompent pas, en récusant à
la fois l’approche patient et l’approche client. Leur préoccupation n’est pas
d’acheter le meilleur service pour eux-mêmes, mais de lutter pour que la
société soit plus juste, plus égalitaire, plus respectueuse, et qu’ils puissent
participer, à part entière et égalité, à la société dans laquelle ils vivent.
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