Le handicap est-il encore une maladie ?
Il fut une époque, au XIXe siècle, où le féminisme était considéré comme une maladie : le fait de revendiquer des droits, ou l’égalité avec les hommes, était considéré comme la manifestation d’un trouble psychique. La drapétomanie, autour des années 1850 aux Etats-Unis, était une prétendue « maladie mentale pour expliquer l’évasion des esclaves vers le Nord des Etats-Unis » (Wikipedia) et leur irrépressible désir de liberté. L’homosexualité fut considérée comme une maladie (une perversion) jusqu’à la fin du XXe siècle. L’esclavage a été aboli, les femmes ont gagné en émancipation. Pour autant, le racisme, le déni du féminisme, l’homophobie n’ont pas disparu. Si les états ou les conditions considérées ne sont plus des maladies, ils restent pour un certain nombre de personnes, et comme arrière-fond culturel, des substrats d’infériorité, des essences d’inégalités, et même encore parfois des « tares » morales.
Les personnes en situation de handicap partagent avec ces
populations (les Noirs, les femmes, les homosexuels, et bien d’autres) des
conditions d’exclusion, d’inégalités, de ségrégation, de domination. Et
pourtant, le handicap reste, au moins partiellement, ancré dans la maladie et
ses avatars de déficiences, de troubles et d’incapacités. Il le fut de tout
temps, ou presque. Ce que l’on nomme aujourd’hui sous la catégorie handicap
était caractérisé autrefois par les caractéristiques physiques, psychiques ou
comportementales dont étaient affectés les personnes : cul-de-jatte,
estropié, sourd, aveugle, bossu, nain, imbécile, débile, idiot, fou, caractériel,
délinquant, etc. Les caractéristiques en question relevaient exclusivement d’un
dysfonctionnement « corporel » (au sens large), assimilable à une
maladie. La prise en compte sociale de ces caractéristiques se traduisait par
des actions de charité et de bienfaisance, auxquelles se sont adjointes progressivement
des actions de soins.
Mais jamais, les aspects d’exclusion sociale, de
discrimination, de ségrégation, de domination, d’émancipation, d’égalité des
droits, etc., ne furent mis en perspectives dans les politiques publiques comme
ils le furent, même de manière insuffisante, pour les Noirs, les femmes ou les
homosexuels, malgré la tentative américaine de « vie autonome » et
des disability studies. La situation française concernant le handicap
illustre à l’extrême cette situation d’ancrage du handicap dans la maladie au
sens large.
Certes la définition du handicap de la loi de 2005 enrichit
la perspective en situant le handicap dans un environnement, mais reste
attachée à sa cause première à savoir le dysfonctionnement corporel (physique
ou psychique), assimilant abusivement le handicap à la notion de problème de
santé et non à un problème politique et social. L’organisation de la
« prise en charge » du handicap et les politiques publiques la
concernant sont encore et toujours sous la responsabilité des services du
ministère de la Santé, des Agences régionales de la santé. Comme si, encore et
toujours, les problématiques des personnes en situation de handicap se
réglaient et se régulaient de la même manière que celles des patients
d’hôpital. Les dispositifs d’accompagnement font partie du secteur
médico-social, parfois au détriment des droits des citoyens (voir par exemple
l’exclusion des travailleurs handicapés d’ESAT des droits du travail). Les
problématiques des santé sont premières, avant les problématiques de conditions
des vie et de citoyenneté. La guérison, la réadaptation, la rééducation restent
prioritaires dans le système idéologique professionnel de l’accompagnement.
Tant que l’on considèrera le handicap selon ces perspectives
médicales, ou bio-médicales, les personnes en situation de handicap resteront
des « dominés », comme l’étaient nombre d’autres catégories dominées,
et dont l’argument de domination s’appuie sur la notion de maladie, signe de dysfonctionnement
et d’écart par rapport à la norme. Tant
que l’égalité réelle de l’accès aux droits n’est pas affirmée, le discours
inclusif reste illusoire.
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