Surtout, ne pas former au handicap
Une des conditions unanimement consensuelle afin de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les différents segments de la société (école, travail, loisirs, espaces physiques…) est de former les différents professionnels de ces différents segments à accueillir les personnes concernées. Et de fait, la méconnaissance des situations vécues par les personnes handicapées et de leurs conditions de vie, associée à des représentations archaïques (handicap = infériorité), constitue d’indéniables obstacles à une véritable participation des personnes concernées aux activités de la société dans laquelle pourtant elles vivent.
Encore faut-il choisir le bon contenu de formation pour que
les choses puissent changer et contribuer ainsi à un environnement inclusif. Se
donner comme perspective de former au handicap s’appuie toujours, consciemment
ou inconsciemment, sur une conception, un modèle conceptuel du handicap
(handicap, handicapé, personne handicapée). A l’observation des propositions de
formation, il s’avère que ce modèle reste en France le plus souvent un modèle
bio-médical. Le handicap renvoie dans ce modèle à la maladie, à la déficience,
aux troubles, sources et causes des difficultés de réalisation d’aptitudes, des
incapacités par conséquent, celles-ci étant à leur tour cause des désavantages
dans la vie sociale. Ainsi présentée, l’explication du handicap renvoie aux
incomplétudes de la personne, à son écart avec la normalité, et donne la charge
de l’inclusion aux modifications éventuelles de la personne pour rejoindre la
normalité.
Ce modèle, issu de l’OMS dans les années 1980 et contesté
dès sa publication, reste pourtant le modèle dominant dans notre pays, et
constitue le substrat de maintes formations « au handicap ». De
nombreuses formations suivent immuablement ce schéma : origine,
caractéristiques et nature de la déficience, liste des incapacités habituelles
de telle ou telle déficience, conséquences de la vie de la personne dans la vie
sociale, traitements appropriés (médicaux et rééducatifs). Un tel schéma de
formation conduit inexorablement à considérer que le handicap reste un problème
de santé et non un problème de société (social), qu’il se caractérise comme un
écart avec des normes biologiques ou psychiques et non comme la manifestation
de la diversité humaine, qu’il appartient à la personne concernée de faire les
efforts nécessaires (avec l’appui de dispositifs de soins ou sociaux) pour
prétendre accéder aux activités sociales de tous et non à l’environnement de se
rendre accessible à la diversité des individus.
Sur ce schéma de différentiation des catégories de personnes
selon leur rapport à ce que la société institue comme norme, la formation au
handicap paradoxalement légitime la ségrégation et la discrimination,
objectivement instaurées par les différences de nature entre personnes
handicapées et valides. L’appel à la solidarité et à la bienveillance,
remplaçant la charité et la bienfaisance, atténue certes la violence de cette catégorisation
infériorisante. Mais dans le fond, une telle formation ne fait que conforter
ces représentations archaïques de la place des personnes handicapées dans la
société : « Ces gens-là ne sont pas comme nous »
Si former ainsi au handicap a des conséquences fâcheuses,
faut-il renoncer à toute formation ? Bien au contraire. Mais il s’agit de
former à la connaissance des conditions de vie des personnes en situation de
handicap : leurs droits sont-ils respectés et effectifs ? Les enfants
ont-ils accès à l’école et dans quelles conditions peuvent-ils faire leurs
apprentissages ? Les travailleurs handicapés ont-ils accès à l’emploi
comme n’importe quel travailleur et dans quelles conditions d’exercice de
l’emploi ? Une personne en situation de handicap peut-elle profiter de la
ville, des transports, comme n’importe qui ? Croire que la nature de la
déficience explique les conditions de vie des personnes en situation de
handicap, et en faire l’objet d’une formation, c’est pérenniser une approche
défavorisante à l’égard des personnes concernées et reproduire les conditions
d’exclusion, de discrimination et de domination qu’elles subissent.
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