Handicap : l'amnésie collective. La France est-elle encore le pays des droits de l'homme ?
de B. KERROUMI et S. FORGERON (Dunod, 2021)
En premier lieu, la France est restée sur une approche
médicale du handicap, à rebours des choix opérés par quasiment tous les pays
occidentaux, qui ont fait le choix progressif d’une approche sociale, dont les
effets sur la reconnaissance des droits sont notables. Cette approche se
retrouve jusqu’à la définition du handicap donnée par la loi du 11 février
2005, qui confirme cet ancrage dans l’approche conceptuelle médicale. Sans
compter toutes les décisions qui sont prises au nom de cette approche, de
l’utilisation du guide-barème d’invalidité dans les MDPH au recours
systématique au médecin dès lors qu’il s’agit de difficultés handicapantes :
les personnes handicapées « vivent dans un modèle médical du handicap
datant de la guerre 1914-1918, où les phases déterminantes de la vie
(scolarité, emploi, activités quotidiennes, loisirs…) exigent l’approbation des
autorités médicales… Un problème à l’école, en entreprise, d’accessibilité ?
Un rendez-vous est pris chez le médecin » (p.2).
Là où de nombreux pays (USA, Canada, Europe du Nord, Italie,
Espagne…) ont fait le choix d’approches sociales du handicap, la France reste
crispée sur l’approche médicale. « L’arrogance de nos élites autoproclamées
nous fait perdre de vue que le monde avance, et que ce modèle médical du
handicap, que nous désignerons aussi par l’expression modèle féodal du handicap
pour ne pas stigmatiser les professions de santé, a été conçu dans les années
1950, à une période où il se justifiait peut-être. Ce modèle féodal est un
modèle politique et juridique où les personnes handicapées ne peuvent pas
décider par elles-mêmes de leurs choix de vie et sont exclues de la société. »
(p.17) Avec la conséquence désastreuse en ce qui concerne les droits des
personnes handicapées. Ainsi l’école inscrit-elle bien les enfants
(l’inscription est réglementairement obligatoire), mais a fait le choix dene
pas toujours les scolariser, ou de les scolariser partiellement, (on a même
inventé la notion d’inscription inactive) prétendant de cette façon mettre en
œuvre la loi de 2005 et se déclarer inclusive. Les non scolarisations, les
scolarisations partielles, les absences d’accompagnement, les orientations
spécialisées manifestent clairement le déni d’un droit, celui d’être scolarisé.
Quant à l’accessibilité, les espoirs soulevés par la loi de
2005 ont été balayés par les différents textes d’application (ou l’absence de
textes). Sur le logement par exemple, la loi ELAN a été une immense régression
en limitant l’accessibilité à un pourcentage minime de logements accessibles,
oubliant que cette accessibilité concernait (et concernera encore plus à
l’avenir) non seulement les personnes handicapées mais aussi les personnes
vieillissantes.
Dans l’emploi, les politiques publiques françaises sont
marquées par des obligations et des sanctions, avec une efficacité relative
faute d’avoir une approche sociale du handicap. Dans les pays où l’approche
sociale est de mise, la reconnaissance des compétences et de l’apport des
personnes handicapées fait la preuve d’une efficacité meilleure. Et que dire du
droit d’être autonome dans ses conditions de vie quand les ressources auxquelles
a droit une personne handicapée sont soumis aux revenus d’un conjoint (ce fut
tout le débat de la déconjugalisation de l’AAH, obstinément refusée par le
gouvernement et la majorité présidentielle).
C’est bien l’accessibilité (accessibilité globale, pas
seulement physique ou matérielle) qui constitue le nœud gordien de la mise en
œuvre effective des droits dans la société. Une société qui rend ses
institutions (école, travail, espace public, etc.) accessibles à tous est une
société qui accorde les droits de tous à tous. Et c’est bien la réduction
d’accessibilité (maintien des obstacles) qui constitue le déni de droits de
certaines catégories de personnes, dont les personnes handicapées. « L’accessibilité
représente un principe fondateur et une condition préalable pour garantir le
caractère inclusif des droits humains de tous les citoyens. » (p.89) L’ouvrage
développe d’ailleurs une longue et intéressante présentation de l’accessibilité
universelle (ou conception universelle de l’accessibilité) mise en œuvre ailleurs
et faisant défaut en France. « La conception universelle (ou universal
design en anglais) est une stratégie
visant à concevoir et à élaborer des environnements, des produits, des
communications, des technologies de l’information et des services qui soient,
autant que faire se peut et de la manière la plus autonome et naturelle
possible, accessibles, compréhensibles et utilisables par tous, de préférence sans
devoir recourir à des solutions nécessitant une adaptation ou une conception
spéciale pour des segments d’utilisateurs. » (p.201)
Autre intérêt de l’ouvrage, la comparaison avec d’autres
pays, qui ont fait des choix autres que ceux par les politiques publiques
françaises. Sans être angélique sur ce qui se passe ailleurs, on voit quand
même que sur nombre d’aspects, en particulier en ce qui concerne l’effectivité
des droits des personnes handicapées, ces pays sont en avance sur la France.
Celle-ci, indiquent même les auteurs, fait même des régressions sur
l’effectivité de certains droits.
L’ouvrage n’est pas tendre, il prend parfois la rhétorique
du pamphlet lorsqu’il s’agit d’interroger les conséquences de main mise de la
santé sur les conditions de vie des personnes handicapées, ou lorsqu’il s’agit
d’interroger le rôle des associations qui prétendent représenter les personnes
handicapées quand elles ne font que les gérer et défendre leur propre intérêt. Une
lecture salutaire pour qui prétend se préoccuper des conditions de vie des
personnes en situation de handicap et défendre leurs droits pleins et entiers.
Extraits de la présentation
En France, les personnes handicapées n’ont pas accès aux
mêmes droits que les personnes dites valides. De fortes discriminations
subsistent au quotidien : scolarité, formation professionnelle et emplois
au rabais ; inaccessibilité du cadre de vie (logement, transports,
établissements recevant du public) ; non prise en compte du vieillissement
de la population dans les politiques publiques… Ces discriminations sont le
révélateur, parmi tant d’autres, d’une ségrégation de facto de millions de
personnes vivant avec un handicap.
Les auteurs de cet ouvrage, tous deux non-voyants,
dénoncent la complexité imposée par le modèle médical du handicap, centré sur
les incapacités du patient objet de soins, pour maintenir un monopole abusif du
ministère de la Santé sur des millions de citoyens. Ils analysent et illustrent
ce que doivent être de bonnes pratiques valorisant les personnes handicapées
dans le domaine de l’éducation, l’emploi, l’urbanisme, les politiques
publiques, l’innovation sociale, etc.
Pour redonner aux personnes handicapées leur dignité et
l’accès aux droits fondamentaux, il faut un modèle social du handicap, centré sur
la personne vivant en toute autonomie au cœur de la société. La France cessera
d’être alors le pays des avancées théoriques, pendant que les progrès concrets
se font ailleurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire