Le déterminisme institutionnel des besoins
L’organisation des réponses aux difficultés et aux situations de handicap que rencontrent les personnes concernées détermine des modèles de pensée et d’action parfois très éloignées de leurs attentes et besoins. Le secteur médico-social, avec ses établissements, services et aujourd’hui offres de services, est le cadre juridico-administratif d’organisation des accompagnements des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, il met en œuvre des réponses organisationnelles en mettant en correspondance des besoins et des prestations. Ce faisant, il fournit une grille de réponses fondées sur un système de représentations (la réforme de l’offre de service n’interroge en définitive pas les conceptions sociales sur le handicap : solidarité, charité, validisme, etc.) propre à la culture et à l’habitus médico-sociaux, issus d’une histoire conceptuelle et de pratiques qui se sont élaborées dans des cadres politiques obsolètes, qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Le seul cadre politique dont il est tenu compte en termes de changement est celui de la primauté de l’économique et de la gestion.
J’avais été frappé par cette réaction institutionnelle (des
professionnels et de l’institution elle-même) à l’égard de parents d’enfants
sourds scolarisés dans des classes d’un IES (Institut d’éducation sensorielle)
par rapport aux prestations qui étaient proposées à leurs enfants, prestations
« habituelles » d’enseignement spécialisé, d’orthophonie, de
psychologie… Ces prestations étaient censées répondre aux besoins identifiés
d’enfants qui présentaient une déficience auditive et un certain nombre
d’incapacités liées. Certains de ces parents s’étaient positionnés sur une
demande de scolarisation spécialisée (caractérisée surtout par l’utilisation de
la langue des signes dans l’enseignement). Pour des raisons politiques locales,
l’Education nationale, d’abord sollicitée par ces parents, n’était pas en
mesure de mettre en place de dispositif de réponses. Il avait donc été convenu
que ce serait l’IES qui mettrait en place la réponse organisationnelle de cette
scolarisation.
Mais les parents concernés avait une demande de
scolarisation, pas de demande médico-sociale. Dans le cadre de leur choix
bilingue (langue des signes et français écrit), ils ne demandaient ni ne
souhaitaient ni orthophonie, ni suivi médical institutionnel, etc. Ces prises
de position parentales provoquèrent de vives réactions dans l’institution, que
l’on pourrait résumer à ces propos : « Nous sommes quand même dans
une institution médico-sociale, par conséquent il faut que les parents aient
toutes les prestations que l’on propose en tant que service médico-social, le
soin fait partie des prestations obligatoires. Il faut qu’ils se conforment à
ce que l’institution fournit comme prestations, puisqu’il s’agit des réponses à
des besoins avérés. Si les parents ne sont pas encore prêts à cela, il faut
travailler avec eux pour qu’ils acceptent ce qu’on leur propose et que cela
rentre dans leur projet. Les parents veulent essentiellement du scolaire, mais
l’institution fait davantage que du scolaire.»
Les besoins en question étaient ici déterminés par une
approche bio-médicale centrée sur la déficience et les incapacités, pas du tout
ni par les projets parentaux ni par un autre regard sur la surdité comme
minorité linguistique par exemple. Les parents n’avaient ici aucune attente de
soins (au sens large) ou de traitement de la surdité, ils attendaient une
scolarisation bilingue et de qualité. En contradiction avec la
« mission » des services du médico-social, fondée sur l’existence
d’une déficience et sur une définition du handicap nécessitant un traitement
médical ou paramédical. La définition de la notion de besoin, celle qui engage
à des prestations réponses, n’est pas hors du champ idéologique ou social. Elle
est déterminée par les structures et organisations qui vont l’utiliser de
manière opérationnelle. C’est pour cette raison que l’évolution de l’offre de
services basée sur une mise en correspondance d’une nomenclature de besoins et
d’une nomenclature de prestations risque de se heurter à une impasse, en
restant dans les modèles traditionnels de pensée de la notion de handicap.
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