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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mardi 16 février 2021

c'est quand même mieux d'être moins handicapé

"C'est quand même mieux d'être moins handicapé"

Dans une période qui se veut formellement (mais pas dans la vraie vie !) égalitaire en ce qui concerne les droits et les chances, la hiérarchie des valeurs entre situations de handicap demeurent, ou plutôt les hiérarchies de valeur entre nature des handicaps et leurs manifestations dans les situations de vie. On préfère avoir à faire avec un « moins handicapé » qu’à une personne davantage handicapée. En dépit des dénégations droits-de-l’hommistes de l’égalité de valeur de tous, les représentations, et les actes conséquents, sont ancrées dans un inconscient individuel et collectif qui hiérarchise la valeur des uns et des autres.

Dans mon parcours professionnel, j’ai travaillé, sur une même période, avec deux collaboratrices sourdes. Elles avaient fait toutes deux des études supérieures, et exerçaient comme enseignantes spécialisées auprès de jeunes sourds. L’une, appelons-là Sylvie, après un parcours de formation en intégration, puis en institution spécialisée, puis de nouveau en intégration en lycée et université, avait fait le choix de l’utilisation de la langue des signes exclusivement. Je n’ai jamais su, ni cherché à savoir, si elle avait des compétences dans la compréhension et l’expression de la langue orale. L’autre, appelons-la Véronique, avait réalisé un parcours exclusivement en intégration, et communiquait parfaitement en langue orale ; elle pouvait comprendre son interlocuteur (lors d’entretiens que j’avais avec elle, je faisais attention à me placer bien face à elle) et s’exprimait parfaitement (avec ce qu’on aurait pu qualifier de petit accent). La première requérait la présence d’un interprète en langue des signes pour les activités institutionnelles (réunions, rencontres, entretiens…), la seconde non. Qui, croyez-vous, l’institution préférait-elle ?

Elles étaient bien formellement à égalité. Mais au long de ces années, j’ai entendu maintes réflexions de la part de collègues ou de l’administration (je rappelle qu’il s’agissait d’une institution pour jeunes sourds !) qui affirmaient en définitive que l’une, Véronique, valait mieux que l’autre, Sylvie. La première était socialement et institutionnellement préférée. « C’est quand même plus facile avec Véronique » « Il a fallu qu’elle travaille énormément pour arriver là » (il était sous-entendu que l’autre avait joué la facilité !). « Pour communiquer comme elle le fait, elle a dû sacrément faire des efforts ! ». « C’est quand même mieux d’avoir une communication orale que d’être obligé de passer par la langue des signes » me disait encore un responsable de l’établissement dix ans après la loi de 2005. Pour Sylvie par contre, la situation était compliquée et elle coûtait cher : il fallait organiser les différentes instances avec un interprétariat, et beaucoup de professionnels et surtout l’administration était gênée dans ses relations avec elle. Il est même arrivé que l’on me conseille de choisir plutôt Véronique que Sylvie pour je ne sais quelle instance, parce que (l’argument était inconscient) il était quand même plus facile d’être en connivence avec quelqu’un qui parlait qu’avec quelqu’un qui signait, l’intelligence de celle-ci étant peut-être parfois mise en question.

Au-delà de cette situation, qui me semble pourtant exemplaire et caractéristique en ce qui concerne nombre de situations de handicap, de nombreuses représentations et rapports avec les personnes en situations de handicap relève d’une même hiérarchisation des valeurs. Dans le travail en entreprise, les exigences de rentabilité et de performance, parfois conditions de survie des entreprises, amènent à préférer des salariés rapides, flexibles, agiles, performants, présentant bien, etc… à des salariés qui pour des raisons de handicap sont plus lents, moins adaptés aux changements, n’atteignent pas les objectifs de performance attendus ou encore sont moins présentables. Sur ce dernier aspect, il suffit de regarder par exemple les discriminations pour les postes d’accueil. Le changement de regard ne peut être simplement de l’ordre de l’éthique, ce sont aussi les organisations sociétales et les discours qui les justifient qui doivent changer afin de passer de représentations infériorisantes à des représentations égalitaires.

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