De la protection à l'égalité et aux droits
Longtemps, la prise en charge des personnes en situation de
handicap a relevé du modèle de la protection, pensée et organisée sous
différents registres et dispositifs. La protection n’avait pas une finalité
univoque : s’il y avait lieu de protéger les personnes concernées, il y
avait lieu aussi de protéger la société de ces personnes. La protection a pris
diverses formes : l’éloignement (les institutions à la campagne)
l’enfermement (les institutions fermées s’inspirant de la prison ou des
monastères cloitrés), la surveillance (en particulier des personnes présentant
un danger pour la société). Le cadre conceptuel de la protection puisait ses
racines dans une représentation des personnes en situation de handicap comme
étant « incapables », n’ayant pas toutes les capacités (physiques,
intellectuelles, sensorielles, mais aussi psychiques ou morales) d’être comme
les « normaux ».
A la protection s’est rajoutée, simultanément ou plus
tardivement, l’idée d’éducation et de réinsertion dans la société (en
particulier dans le travail). Mais l’incapacité restait une donnée
« ontologique », qu’il fallait compenser par diverses mesures et des
rééducations, celles-ci ayant pour finalités de rendre les personnes concernées
le plus proche possible de la norme sociale instaurée. Mais même dans cette
configuration, la balance entre la protection et l’autonomie
(l’autodétermination) penchait en faveur de la première, avec comme effets l’infantilisation
des personnes, l’absence de droits et de choix, et même parfois de la
maltraitance inacceptable.
Avec la prise de conscience des droits humains pour tous
(pour la « catégorie » handicapés, comme pour d’autres
catégories : femmes, homosexuels…), il y a eu un renversement de
problématique. L’égalité pleine et entière est dorénavant revendiquée et,
davantage qu’une protection (enveloppante, recouvrante, étouffante), c’est d’un
appui (quelque chose sur lequel on peut s’appuyer), dont il va s’agir dans la
pensée et l’action. Avec cette perspective d’égalité, émerge également
l’importance des dispositifs d’accessibilité, et par conséquent celle d’un
changement social et sociétal, dans la manière dont la société conçoit ses
rapports avec les personnes en situation de handicap. Il n’est pas anodin par
exemple que la « prise en charge » ait été remplacée par la
« participation sociale, ou la « valorisation des rôles
sociaux ».
Les personnes en situation de handicap ont-elles perdu dans
cette mutation les conditions de protection dont elles bénéficiaient auparavant
en tant que personnes vulnérables ? Oui, elles ont perdu les conditions
infériorisantes, excluantes, stigmatisantes, liberticides, discriminantes, que
les institutions classiques leur imposaient. Elles ont gagné des conditions
d’autodétermination, de liberté, de choix de vie, d’émancipation et de
développement, de valorisation de leurs rôles sociaux, de participation
sociale, qu’elles n’avaient pas auparavant.
Elles ont aussi gagné des risques, ceux de bon nombre de
personnes et qui sont aussi inhérents à une société inégalitaire et injuste.
Dans cette société qui a tendance à considérer que chacun est responsable de
son bonheur ou de son malheur (les pauvres sont responsables de leur pauvreté,
les chômeurs de leur inemploi…), chacun est soumis à la violence sociale. Même
si les personnes en situation de handicap sont encore marginales par rapport à
cette tendance, on n’est pas loin de considérer qu’elles devraient faire la
preuve de leur résilience puisqu’on leur a donné l’autodétermination, de leur
volonté d’être comme les autres (flexibles, agiles et réactifs), de la mise en
œuvre de certaines des capacités qui pourraient attester de leurs mérites, pour
prétendre à l’appui dont elles ont besoin.
S’il y a lieu de s’inquiéter de l’absence de protection,
c’est à la société qu’il faut imputer les insuffisances, mais à la
« nature » du handicap. La protection n’a pas été remplacée par une
véritable égalité des chances et des droits faute de changements dans les
institutions de la société.
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