Empowerment des uns, soumission des autres ?
L’empowerment est aujourd’hui une référence partagée
dans les modalités professionnelles d’accompagnement social ou médico-social
des personnes vulnérables, dont les personnes en situation de handicap. Il n’y
a pas de traduction consensuelle de ce terme : il est indifféremment
traduit par autodétermination, pouvoir d’agir, empouvoirement, agentivation ou
agentivité, capacitation…
Ce nouveau paradigme passe par l’exercice de nouveaux
droits, le développement de la participation sociale des usagers, tels qu’ils
ont par exemple été prônés dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action
sociale et médico-sociale. Il passe aussi par l’émergence de nouveaux modèles
de représentations concernant les personnes en situation de handicap, avec par
exemple les notions d’usager-expert ou les groupes d’entraide mutuelle. Il est
également lié à des perspectives d’émancipation (on parle du développement du
pouvoir d’agir), du moins lorsque cette participation sociale des personnes en
situation de handicap n’est pas dévoyée comme alibi de démocratie dans des
contextes d’orientations autoritaires des politiques publiques ou des
fonctionnements institutionnels (le choix de la couleur des couloirs n’est pas
suffisant pour attester de l’empowerment). Il s’agit de l’octroi de
davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour agir sur les
conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont
confrontés. Le développement du pouvoir d’agir porte par conséquent en germe
des changements fondamentaux dans les relations des personnes en situation de
handicap avec les professionnels, les organisations et les politiques
publiques. Il peut être émancipateur.
L’émancipation des plus vulnérables peut se (est à)
concevoir comme accompagnée : l’autonomie possible pour des personnes en
situation de handicap n’est parfois réalisable que grâce à un accompagnement
humain garantissant la réduction de la situation de handicap et l’augmentation
de la participation sociale. Cette configuration pose la question des modalités
d’accompagnement et des postures professionnelles des accompagnants.
Or il y a un paradoxe énorme entre l’intention sociale d’empowerment
des personnes et les modalités de fonctionnement des accompagnants, telles
qu’elles sont préconisées et qui relèvent, elles, d’une régression d’autonomie
des professionnels. Si formellement, il est demandé aux professionnels
d’exercer leurs capacités et compétences personnelles et professionnelles
d’adaptation, de créativité, de flexibilité, d’agilité, de changement,
d’innovation, de disruption, …, leur exercice professionnel est quant à lui
soumis à des contraintes et à des injonctions de plus en plus nombreuses. Les
préconisations des bonnes pratiques professionnelles, dont la quantité est
phénoménale, donnent des indications rapidement devenues des obligations de
comportements, d’attitudes, de procédures et de tâches. En dehors des normes de
ces préconisations, les actions professionnelles n’ont plus droit de cité,
laissant place dans un travail réel invisible, hors du travail prescrit. La
préoccupation d’efficacité, d’efficience, de performance de l’action
professionnelle engage les professionnels à des redditions d’activités, des
évaluations permanentes, l’application soumise à des procédures dont le nombre
s’accroit, excluant de leur champ d’action ce qui n’est pas mesurable, rentable
aux yeux des attendus. La « gouvernance par les nombres »
(Alain Supiot, 2015) enlève aux professionnels ce qui constituait les
caractéristiques proprement humaines de leur agir.
Comment concevoir que des professionnels eux-mêmes soumis à
des injonctions « autoritaires » qui les dépouillent de leur propre
pouvoir d’agir sur la base de leurs compétences personnelles ou
professionnelles puissent accompagner le développement du pouvoir d’agir des
personnes qu’ils accompagnent ? Il s’agit plus que d’un paradoxe :
une contradiction éthique et déontologique.
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