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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

jeudi 19 mars 2020

empowerment des uns, soumission des autres

Empowerment des uns, soumission des autres ?


L’empowerment est aujourd’hui une référence partagée dans les modalités professionnelles d’accompagnement social ou médico-social des personnes vulnérables, dont les personnes en situation de handicap. Il n’y a pas de traduction consensuelle de ce terme : il est indifféremment traduit par autodétermination, pouvoir d’agir, empouvoirement, agentivation ou agentivité, capacitation…

Ce nouveau paradigme passe par l’exercice de nouveaux droits, le développement de la participation sociale des usagers, tels qu’ils ont par exemple été prônés dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Il passe aussi par l’émergence de nouveaux modèles de représentations concernant les personnes en situation de handicap, avec par exemple les notions d’usager-expert ou les groupes d’entraide mutuelle. Il est également lié à des perspectives d’émancipation (on parle du développement du pouvoir d’agir), du moins lorsque cette participation sociale des personnes en situation de handicap n’est pas dévoyée comme alibi de démocratie dans des contextes d’orientations autoritaires des politiques publiques ou des fonctionnements institutionnels (le choix de la couleur des couloirs n’est pas suffisant pour attester de l’empowerment). Il s’agit de l’octroi de davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés. Le développement du pouvoir d’agir porte par conséquent en germe des changements fondamentaux dans les relations des personnes en situation de handicap avec les professionnels, les organisations et les politiques publiques. Il peut être émancipateur.

L’émancipation des plus vulnérables peut se (est à) concevoir comme accompagnée : l’autonomie possible pour des personnes en situation de handicap n’est parfois réalisable que grâce à un accompagnement humain garantissant la réduction de la situation de handicap et l’augmentation de la participation sociale. Cette configuration pose la question des modalités d’accompagnement et des postures professionnelles des accompagnants.

Or il y a un paradoxe énorme entre l’intention sociale d’empowerment des personnes et les modalités de fonctionnement des accompagnants, telles qu’elles sont préconisées et qui relèvent, elles, d’une régression d’autonomie des professionnels. Si formellement, il est demandé aux professionnels d’exercer leurs capacités et compétences personnelles et professionnelles d’adaptation, de créativité, de flexibilité, d’agilité, de changement, d’innovation, de disruption, …, leur exercice professionnel est quant à lui soumis à des contraintes et à des injonctions de plus en plus nombreuses. Les préconisations des bonnes pratiques professionnelles, dont la quantité est phénoménale, donnent des indications rapidement devenues des obligations de comportements, d’attitudes, de procédures et de tâches. En dehors des normes de ces préconisations, les actions professionnelles n’ont plus droit de cité, laissant place dans un travail réel invisible, hors du travail prescrit. La préoccupation d’efficacité, d’efficience, de performance de l’action professionnelle engage les professionnels à des redditions d’activités, des évaluations permanentes, l’application soumise à des procédures dont le nombre s’accroit, excluant de leur champ d’action ce qui n’est pas mesurable, rentable aux yeux des attendus. La « gouvernance par les nombres » (Alain Supiot, 2015) enlève aux professionnels ce qui constituait les caractéristiques proprement humaines de leur agir.

Comment concevoir que des professionnels eux-mêmes soumis à des injonctions « autoritaires » qui les dépouillent de leur propre pouvoir d’agir sur la base de leurs compétences personnelles ou professionnelles puissent accompagner le développement du pouvoir d’agir des personnes qu’ils accompagnent ? Il s’agit plus que d’un paradoxe : une contradiction éthique et déontologique.

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