Une inclusion dans l'ambiguïté
Cette représentation est souvent utilisée pour illuster l’inclusion
et le modèle inclusif. Mais elle est peut-être en partie trompeuse. D’un côté,
il faut reconnaitre qu’elle illustre de manière adéquate le fait que, dans le
modèle inclusif, personne n’est laissé à l’extérieur, que tous les individus
sont intégrés ou inclus dans les frontières dessinées de l’ensemble incluant.
Ainsi, l’inclusion scolaire consiste bien effectivement à accueillir tous les
élèves, quelles que soient leurs caractéristiques, et à refuser de ne pas
accueillir l’un d’eux. Cette représentation graphique figure bien par
conséquent le modèle inclusif opposé à un modèle d’exclusion qui laisserait à
l’extérieur certains des individus.
Mais la représentation masque dans le même temps quelques impensés et
ambiguïtés du modèle inclusif. Cette figure est faussement opposée à une autre
figure, celle de l’intégration. Celle-ci se caractériserait par la constitution
des sous-ensembles à l’intérieur de l’ensemble concerné, des sous-ensembles
dans l’école ou la classe par exemple. Des dispositifs comme les Unités
localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ou les Unités d’enseignement
externalisées (UEE) sont des dispositifs correspondant à cette représentation
graphique. On pourrait parler ici, à l’instar de Bourdieu, d’« exclusion
de l’intérieur ». Cette dernière représentation (et sa terminologie en
France) ignore toutefois un aspect essentiel du modèle intégratif :
l’intégration ne concerne que les élèves qui en ont les capacités, les
possibilités, les compétences et les opportunités pour être avec les autres,
laissant de côté et excluant ceux qui n’en sont pas capables, instituant ainsi
deux filières, l’une à l’intérieur et l’autre à l’extérieur.
La représentation graphique de l’inclusion fait apparaitre
également une vision inclusive essentiellement individualiste. Les élèves
« différents » sont en quelque sorte dilués dans la totalité des
différences et des singularités. Or un ensemble (un groupe classe par exemple)
ne peut pas être envisagé comme la seule somme de vingt singularités. Dans le
vivre ensemble, il y a une socialisation et des sociabilités, qui sont en
action de manière permanente pendant les temps en classe et en dehors de la
classe : des garçons et des filles, des joueurs de foot, une petite fille
et son « amoureux », des affinités de jeux et de travail, des choix
de partenaires pour les activités, etc. constituant autant de sous-ensembles
que n’indique pas la représentation. La ressemblance (les affinités) est un
facteur au moins aussi important que les différences individuelles. La
représentation masque ainsi des « besoins » ou des adaptations
nécessaires à des élèves : un élève sourd signant inclus dans cette
perspective individualiste est en risque d’exclusion.
Enfin, rien n’est dit des conditions d’inclusion dans un tel
ensemble. La non-exclusion ne signifie pas que l’ensemble œuvrera à l’harmonie,
l’efficience et l’égalité dues à chacun. Un ensemble incluant, peut, en dépit
des intentions d’inclusion, manifester des exclusions internes, sur le plan
individuel ou collectif. Ainsi, un enseignement élitiste, dans une classe de
haut niveau comme de bas niveau, exclura de fait certains élèves. L’articulation
n’est pas aisée dans la reconnaissance de « collectifs » au sein de
la classe, entre la source potentielle de discrimination et de stigmatisation
dès lors qu’il s’agit d’élèves en situation de handicap, et la source d’une
socialisation indispensable dans le vivre en commun et l’apprendre en commun.
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