Les risques de la catégorisation
Les personnes handicapées constituent une catégorie, à
l’intérieur de laquelle les populations sont extrêmement diversifiées. Elle a
été construite davantage en fonction d’objectifs et de contraintes
administratifs qu’en fonction des caractéristiques des populations concernées.
Les catégories servent ainsi à organiser l’action publique selon des critères
administratifs « objectivés ». Mais il faut aussi se rendre compte
que les catégories et les catégorisations ont des effets sur les personnes
catégorisées et sur le regard qu’on porte sur elles, les assimilant à une
définition ontologique donnée par la catégorie.
La catégorisation du handicap, si elle a permis de mettre en œuvre différentes politiques publiques en faveur des personnes concernées, a, dans le même temps, trop attaché à l’image du handicap et des handicapés des images et des attributions négatives et infériorisantes. Lorsque la catégorie perdure, c’est davantage une frontière entre le handicap et la norme, entre les handicapés et les autres, qui est maintenue, que l’abolition ou la porosité de la frontière qui serait réalisée par des actions en direction de ces personnes. C’est aujourd’hui toute la question de la discrimination (positive pour le meilleur des intentions politiques ou négative pour le pire des représentations ou des relations avec les personnes en situation de handicap) qui est soulevée par les reconductions administrative des catégorisations.
Les catégorisations ne sont pas sans risques. Un exemple de
tels risques nous est donné, loin du champ du handicap, dans l’histoire de
l’esclavage. Dans les îles esclavagistes des Antilles, il y avait, jusqu’à
1848, des hommes libres et des esclaves. Parmi les hommes libres, il y avait des
humains blancs et des humains de couleur (esclaves affranchis, mulâtres, ...).
Au départ, aucune mention de couleur de ces humains libres n’était mentionnée
dans les registres. Petit à petit cependant, la distinction informelle et
sociale entre blancs et « libres de couleur » se formalisa et
s’installa socialement. Et même elle prit place, s’installa et se renforça dans
les différentes dispositions législatives et réglementaires. La catégorie
« libre de couleur » fut finalement l’instrument de l’instauration
d’une inégalité toujours plus grande entre les deux catégories.
Concernant les personnes en situation de handicap, les
catégorisations, si elles sont aujourd’hui les instruments d’une discrimination
positive, ont été par le passé les instruments d’une mise à l’écart, d’une
relégation, d’une exclusion, quand elles n’ont pas été les instruments de
politiques eugénistes et d’extermination dans les pires moments de l’histoire.
Alors faut-il supprimer le handicap comme catégorie et objet
de catégorisation ? Sur le plan conceptuel, la notion de situation de
handicap permet de s’éloigner de la catégorie en n’attachant pas la nature du
handicap à une personne ayant une déficience ou une incapacité, mais au
résultat de l’interaction entre la personne et ses environnements, en
désontologisant en quelque sorte le handicap. Mais sur le plan administratif,
cela semble plus complexe. La catégorie est en effet bien pratique pour
déterminer les droits-à d’une personne, qui, en dehors de l’appartenance à la
catégorie perd justement ses droits-à.
Alors
est-on condamné à mettre indéfiniment en tension, en antagonisme, l’avancée
conceptuelle décatégorisante et les injonctions et contraintes administratives
des politiques publiques de renforcement des catégorisations (la réforme
SERFIN-PH confirme ces orientations) ? Dans le contexte actuel, cela
semble le recommencement de la lutte du pot de terre contre le pot de fer, les
gestions des ressources pilotant dorénavant de manière exclusive l’action sur
le terrain. Et pourtant : « Probablement aurons-nous aussi à
abandonner, dans un avenir plus ou moins proche, le terme handicap, qui fait
certainement partie des concepts émoussés, sinon épuisés, qui continuent à
vivre, en entretenant des confusions, ou une stigmatisation et en légitimant
des exclusions. Mais faudra-t-il le remplacer ? » (Charles
Gardou)
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