Handicap et origines sociales
Pour quelles raisons y a-t-il davantage d’enfants handicapés
originaires de catégories sociales défavorisées, en particulier des enfants
présentant des troubles cognitifs ou intellectuels ou des troubles
psychiques ? Ces données sont mises en évidence dans une étude de la
Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance du Ministère
de l’éducation nationale : Sylvie Le Laidier, Parcours scolaires à
l’école et au collège (in Education et Formation, n° 95, décembre 2017),
étude réalisée sur deux cohortes d’élèves handicapés nés en 2001 et en 2005.
D’aucuns seraient tentés d’expliquer rapidement et sans preuves ces données par des facteurs génétiques ou héréditaires, ou par des corrélations hypothétiques entre milieu social et configurations du cerveau et des caractéristiques neurologiques. Il est plus vraisemblable de chercher des explications (mais ceci reste une hypothèse) dans les rapports et les interactions entres les acteurs du handicap (les professionnels du diagnostic et de l’accompagnement) et les familles de ces enfants handicapés.
Lorsque des professionnels rencontrent un enfant handicapé
(un médecin pour le diagnostic, un professionnel para-médical, pédagogique ou
éducatif pour diverses évaluations), ils ne sont pas indifférents à la
situation sociale d’un enfant. Et, à mesure égale des compétences ou
performances de deux enfants, ils peuvent ne pas être qualifiés de la même
manière. Un enfant de milieu favorisé ou très favorisé pourra voir atténués sa
déficience ou son handicap dans l’idée que le milieu constitue ou constituera
un facteur favorable à l’atténuation de la situation de handicap. Inversement,
un enfant de milieu défavorisé pourra voir ses capacités mesurées plus
sévèrement, dans la mesure où les professionnels présument que le milieu sera
moins apte à atténuer sa situation de handicap.
Cette hypothèse n’est pas aberrante : de nombreuses
études ont montré par exemple que les enseignants avaient des représentations
différentes des élèves (garçons/filles, milieux favorisés/défavorisés) qui
influaient énormément sur la nature des relations qu’ils établissaient avec les
élèves, et sur les résultats de ceux-ci. Il n’y a aucune raison que les
professionnels de la détermination du handicap puissent se soustraire
magiquement de ce type de phénomènes de représentations et de jugements, malgré
la prétention à une certaine objectivité des mesures de diagnostic et
d’évaluation.
Cette hypothèse pourrait être confirmée par une autre donnée
de cette étude : « Les enfants en situation de handicap d’un
milieu social défavorisé sont plus souvent scolarisés en classe ou en milieu
spécialisés », et par conséquent, les enfants handicapés d’origine
sociale favorisée ou très favorisée sont davantage en classe ordinaire que les
premiers. Cette orientation différenciée pourrait avoir les mêmes explications.
L’idée que le milieu ordinaire exige davantage de soutien
parental, sous forme de compréhension de la situation, d’aides personnalisées,
de relations avec les professionnels, de capacités à mettre en œuvre un projet,
etc., ainsi que la connivence intellectuelle entre parents et professionnels,
favorisent des orientations des enfants handicapés d’origine sociale favorisée
vers le milieu ordinaire. Inversement, l’idée qu’un milieu spécialisé sera plus
protecteur, plus « prenant en charge », plus suppléant en termes
d’éducation, etc., ainsi qu’une certaine distance intellectuelle et culturelle
(voire parfois quelque chose qui relève d’un certain mépris de différenciation
sociale) favoriseront des orientations d’enfants issus de catégories sociales
défavorisées vers les organisations spécialisées.
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