Difficultés, incapacité et orientation
Un élève handicapé aurait « par nature » des
incapacités, qui lui interdisent d’effectuer ce que réalisent les élèves de son
âge. Telle est encore bien souvent la représentation qu’ont des élèves handicapés
les enseignants et également beaucoup de professionnels
« spécialisés » dans et autour du handicap : médecins,
professionnels para-médicaux, éducateurs, psychologues, enseignants
spécialisés. Témoignent de cette pérennité de représentations les orientations
parfois complaisantes vers des filières spécialisées, adaptées, et l’accès
interdit ou restreint vers les filières auxquelles accède la plupart des
élèves.
Damien était un jeune élève sourd scolarisé en Unité d’enseignement externalisée dans un collège, avec plusieurs autres élèves sourds. Ils avaient quelques cours en dispositif spécialisé (français et anglais en particulier) et partageaient les autres cours avec les élèves d’une des 6ièmes du collège. Pour ces cours partagés, ils étaient accompagnés d’enseignants spécialisés maitrisant la langue des signes ou d’interfaces en langue des signes. Damien avait un certain nombre de difficultés à faire les acquisitions requises pour la 6ième, et en particulier ses compétences en français (lecture et production écrite) étaient particulièrement faibles, ce qui nuisait aux acquisitions de compétences dans les autres disciplines où la maitrise de la langue française était requise. Peu d’outils d’adaptation pédagogique étaient mis en place pour répondre à ces difficultés.
Il fut donc, « naturellement », orienté en fin de
6ième vers une classe spécialisée « adaptée » aux jeunes
sourds, sans inclusion dans une classe correspondante de collège (sauf en
Education Physique et Sportive), avec un programme adapté et d’un niveau
inférieur à celui d’une 6ième de collège (en référence avec des
contenus de programme destinés à un élève de SEGPA : Section
d’enseignement général et professionnel adapté), avec pour visée à la fin du
cycle collège la passation du Certificat de Formation Générale et non le
Diplôme national du brevet. Ni Damien ni sa famille n’étaient en mesure d’avoir
une compréhension et un positionnement critiques par rapport à une telle
orientation.
A l’issue du collège, Damien choisit (mais son choix était
restreint au regard de son parcours de formation) une formation en alternance
en Centre de Formation d’Apprentis dans les métiers du bâtiment, avec une aide
à l’accessibilité (interface ou interprète en langue des signes) pendant les
périodes de cours au CFA. A l’issue de son parcours de formation
professionnelle il obtint le CAP. Il lui fut proposé, et lui-même était très
demandeur, une poursuite de parcours de formation pour effectuer un bac
professionnel, toujours en alternance. A l’issue de la réussite de son Bac Pro,
il lui fut alors proposé de poursuivre sa formation pour effectuer un Brevet de
Technicien Supérieur (BTS).
Rétrospectivement, on a quelques raisons de
s’interroger : pourquoi un élève, certes en difficulté, comme d’ailleurs
d’autres élèves, est-il évalué et jugé comme incapable de et inapte à effectuer
un parcours de formation en collège ordinaire, et donc orienté en conséquence,
et parvient-il toutefois à atteindre le niveau BTS ? Attribuer
sommairement la réussite à un parcours par alternance est insuffisant pour
expliquer le parcours.
On peut faire l’hypothèse qu’il y a eu « erreur »
ou abus de pouvoir dans la décision d’orientation et d’exclusion lors de la 6ième.
Les difficultés observables ont été qualifiées en incapacités, attribuables à
sa déficience auditive, et ont trouvé une solution dans un dispositif
spécialisé disponible. Damien est peut-être un contre-exemple : malgré une
orientation défavorable vers un dispositif adapté à ses
« incapacités », il a réussi un parcours de formation. Mais combien
d’autres ont-ils été orientés et assignés à des parcours qui s’avérèrent des
échecs et des impasses ?
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