Instruction ou assistance
Ces termes d’instruction et d’assistance sont quelque peu
désuets au regard de la qualification contemporaine, plus technique peut-être,
d’éducation et de médico-social. Pourtant, à l’heure où dans les Instituts
nationaux pour les jeunes sourds et les jeunes aveugle l’on s’agit passablement
face aux intentions politiques d’évolution (rattachement à l’éducation
nationale pour la partie enseignement ou aux Agences régionales de santé pour
la partie médico-sociale), je ne peux m’empêcher de citer un texte de
Henri-Jacques STIKER qui rappelle les références à cette terminologie, et qui
m’évoquent quelques débats actuels.
« Au début du XXe siècle, une polémique s’est déclarée à propos du rattachement des institutions pour les jeunes sourds et les jeunes aveugles au ministère de l’Instruction publique alors qu’elles dépendaient jusque-là du ministère de l’Intérieur, cette administration assurant la gestion des questions d’ordre social. Deux camps se sont formés : l’un refusait le rattachement au nom de l’assistance due à ces enfants infirmes reposant sur la double idée de leur incapacité fonctionnelle et de leur indigence sociale ; l’autre, au nom de la loi sur l’instruction obligatoire (loi de Jules Ferry en 1882), sur les possibilités toujours existantes chez les citoyens, entendait faire de ces établissements une question d’instruction et non d’assistance sociale. Dans le premier camp, on trouvait certains parlementaires, certaines associations gestionnaires d’établissements spécialisés, tandis que le second était composé de grands commis de l’Etat et de certains pédagogues comme Baguer. » (H-J Stiker, La condition handicapée, Presses universitaires de Grenoble, 2017, p.72))
Un siècle plus tard, le débat resurgit, pas tout à fait
étranger aux termes du débat évoqué par H-J Sticker. Bien sûr, ce qui est mis
en avant, ce sont les risques de diminution des moyens et de disparition de la
qualité d’accompagnement, inquiétude tout à fait légitime à l’observation de la
casse actuelle des services publics ou des missions publiques, là où toute
modification organisationnelle présentée avec les meilleures intentions
d’amélioration du bien public se traduit systématiquement par des réduction de
moyens assorties d’un objectif récurrent, qui tient lieu d’évangile, de
« faire mieux avec moins ». Cette réalité, on ne peut l’ignorer dans
le contexte actuel.
Mais dans la défense du statu quo, en particulier celui du
maintien de l’enseignement en dehors de l’éducation nationale (le corps des
enseignants spécialisés, titulaires du CAPEJS, relève du ministère des
solidarités et de la santé) il n’y a pas que cela. Il y a aussi du
corporatisme, dont le maintien d’avantages que n’ont pas les personnels de
l’éducation nationale, et également des raisons moins nobles que celles de la
défense de la qualité de l’intervention pédagogique auprès des enfants sourds
ou aveugles.
Il y a peut-être aussi cet enjeu, philosophique et éthique,
théorique et pratique, surgissant de l’histoire de l’éducation des jeunes
sourds et jeunes aveugles et que pointe Stiker. La mise à l’écart de ces élèves
ne rappelle-t-elle pas l’ancienne mise à l’écart assistancielle justifiée par
la charité et la bienfaisance ? La discrimination incapacitaire ne
jouerait-elle pas encore dans l’impensé de la scolarisation de ces élèves par
des personnels spécialisés, élèves auxquels des enseignements ordinaires ne
pourraient convenir tant ces élèves sont spéciaux ? L’éducation qui leur
est prodiguée ne relèverait-elle pas plutôt d’une assistance due à une
population déshéritée, dont les besoins spéciaux identifiés, sont plus
importants que les droits ?
Pour approfondir, lire mon article : Le CAPEJS, une incongruité ?
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