" Il vaut mieux la cacher !"
Voici une histoire édifiante, qu’une professionnelle m’a
racontée il y a quelques années. Cette professionnelle travaillait alors dans
un CAMSP, un Centre d’action médico-sociale précoce, spécialisé dans la
déficience auditive, rattaché (et situé dans) un grand hôpital universitaire.
Il accueillait donc des parents de jeunes enfants diagnostiqués ou suspects de
déficience auditive.
Après bien des débats éthiques (et idéologiques), la
décision fut prise d’embaucher dans l’équipe professionnelle, très médicale
(médecins ORL, orthophonistes, psychologues, psychomotricien, et quand même une
assistante de service social), une personne sourde. Son embauche se fit non pas
sur son identité de personne sourde (comme ce fut le cas dans bien des
institutions), mais sur ses qualifications professionnelles d’éducatrice
spécialisée, et sur sa maîtrise de la langue des signes.
Si tout le monde se mit d’accord sur son embauche, les différentes postures idéologiques s’exprimèrent lorsqu’il fut question d’établir les modalités d’intervention de cette professionnelle nouvellement embauchée. Et les craintes se firent jour.
D’un côté, se questionnait-on, est-ce que cette personne
sourde (qui ne « parlait » pas, mais utilisait des modalités
gestuelles pour communiquer) ne risquait pas d’effrayer les jeunes parents
encore sous le choc du diagnostic de déficience auditive ou angoissés par
l’imminence de ce diagnostic ? De l’autre côté, s’inquiétait-on, est-ce
que la vision d’une communication gestuelle qui fonctionnerait bien et rapidement
avec l’enfant n’allait pas dissuader les parents d’investir dans la
communication orale, ou même les dissuader de faire le choix d’une implantation
cochléaire. A la première interrogation, certains professionnels suggérèrent
que la personne sourde restât cachée dans un des bureaux du service lors du
premier rendez-vous avec une famille, jusqu’au moment, lors des rendez-vous
suivants, où les autres professionnels jugeraient que la famille ne serait pas
traumatisée par cette rencontre.
Ceci s’est passé il y a plus de dix ans, et aujourd’hui, je
suppose qu’une telle réaction apparait choquante. Mais elle révèle des postures
professionnelles fréquentes sous des formes bien moins caricaturales. Car on y
retrouve à la fois la supériorité professionnelle des experts, et inversement
la négation de l’expertise de la personne qui pourtant vit avec des
caractéristiques qui sont la spécialité du service. On y retrouve la mise à
distance (et même les fantasmes de rejet, attribués aux familles bénéficiaires
du service), presque la honte de présenter de telles personnes ; on y
retrouve, en dépit de l’accord pour l’embauche (sans doute pour des raisons
pragmatiques de résolution des problèmes de communication trop importants pour
de jeunes enfants sourds, à qui on veut bien présenter quelques modalités
gestuelles facilitantes) ; on y trouve le rejet d’un modèle éducatif qui a
pourtant réussi (la jeune femme est diplômée) face au modèle éducatif préconisé
(la communication orale) et la crainte de perdre cette orientation auprès des
parents. On y voit aussi peut-être l’activation d’un fantasme de la
monstruosité attribuée par le passé aux handicapés.
A l’heure où l’on met en avant l’expérience des pairs dans
l’appropriation des pratiques de participation sociale, où l’on sait qu’au
cours de l’éducation, les pairs sont des éléments particulièrement importants
pour s’éduquer (dans la culture sourde, nombreux sont les auteurs qui ont mis
en avant l’importance des relations entre pairs sourds pour s’ajuster en termes
de comportements sociaux, de telles postures sont bien éloignées du respect de
la diversité humaine et témoignent d’un rapport inconvenant avec les personnes
en situation de handicap.
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