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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

vendredi 3 mai 2019

le théorème du lampadaire

Le théorème du lampadaire


Jean-Paul Fitoussi, économiste hétérodoxe, a publié en 2013 un ouvrage intitulé : Le théorème du lampadaire. Le titre rappelle cette histoire drôle d’une personne ivre qui ayant perdu ses clés, persiste à ne les rechercher que dans l’espace éclairé du lampadaire devant son domicile ; au passant qui s’étonne de cette attitude et qui l’interroge sur les raisons de la recherche des clés à ce seul endroit, il répond : « oui, mais là, c’est éclairé ». Pour Fitoussi, la science économique contemporaine n’est constituée que de ce qu’elle est capable d’expliquer et est incapable de traiter les problèmes économiques majeurs de notre époque. Elle ne fournit que les réponses locales de ce qui est éclairé. C’est le même modèle d’analyse qu’on peut appliquer aux pratiques professionnelles des établissements médico-sociaux.

Lorsqu’un enfant qui a un trouble, une maladie, une déficience, rencontre des difficultés dans ses apprentissages cognitifs, instrumentaux, affectifs, sociaux, les professionnels vont faire appel au cercle éclairé de leurs compétences, de leurs connaissances et de leurs habitudes professionnelles pour expliquer ces difficultés. Et comme c’est le trouble, la maladie ou la déficience qui sont « éclairés » (c’est la raison pour laquelle le service existe et les professionnels agissent), ce seront ces troubles, maladies et déficiences auxquels on va faire appel pour donner une explication aux difficultés.

Et comme les difficultés liées directement aux troubles, maladies et déficiences sont traitées par le secteur médico-social sur le registre de la pathologie, du soin et du traitement, c’est aussi ce registre qui va être utilisé pour répondre à ces difficultés. D’une part, certaines des difficultés qui pour l’ensemble des enfants seraient de l’ordre de la normalité prennent le statut de pathologie chez les enfants qui ont un trouble. Ainsi certaines difficultés (agitation, difficulté à lacer ses chaussures, à se tenir sur une poutre, mauvaise latéralisation, etc.) deviennent des symptômes relevant du médical et du para-médical (voir à ce sujet l’ouvrage de Sandrine Garcia, A l’école des dyslexiques, La découverte, 2013). 

De même certaines difficultés relationnelles ou cognitives de jeunes sourds sont attribuées à des « pathologies » spécifiques. Il arrive même qu’on « invente » des difficultés en tant que symptômes là où ces difficultés font partie des réalités de tous ! Dans ces deux situations, jamais des raisons environnementales ou relationnelles ne sont évoquées. Les causes des difficultés sont expliquées par l’éclairage professionnel connu et pratiqué du paradigme de pensée du médico-social.

Les réponses vont être dans le même registre, celui du paradigme d’action, celui des réponses fournies dans le contexte professionnel de travail : « toutes choses étant égales par ailleurs », le suivi psychologique présente souvent une réponse inflationniste lorsqu’on le compare à ceux dont peuvent bénéficier les enfants sans handicap. A celui qui ne sait pas trop lacer ses chaussures, ou à celui qui ne marche pas droit dans les couloirs, des séances de psychomotricité vont être mises en place. Les difficultés, aussi banales soient-elles, deviennent des besoins, et appellent des réponses, d’autant plus faciles à fournir que les services disposent de tels professionnels.

On enlève là aux enfants une confrontation à la vie quotidienne, celle que vivent tous les enfants, en leur donnant une médication professionnelle. C’est ainsi que l’on reproduit les paradigmes de pensée et d’action. On pourrait conclure avec deux citations d’Albert Einstein, qui savait de quoi il parlait quand il allait rechercher loin des endroits éclairés : « C’est pure folie de faire sans arrêt la même chose et d’espérer un résultat différent. » « Si nous ne changeons pas notre façon de penser, nous ne serons pas capables de résoudre les problèmes que nous créons avec nos modes actuels de penser ».

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