Continuité du parcours et rupture du regard
Dans le registre des bonnes pratiques professionnelles du
secteur médico-social, la continuité du parcours (versus les ruptures de
parcours) et la liaison entre équipes et
professionnels sont des préoccupations récurrentes. Cela se conçoit aisément
pour des parcours de soin. Il vaut mieux en effet éviter, lorsqu’un patient
change d’établissement ou de service, qu’on ne refasse diagnostic, examens et
traitements. Il le vaut mieux en effet tant sur le plan de la santé du patient
que du point de vue économique.
A l’image de cette injonction dans le domaine du soin, les bonnes pratiques sont semblables dans le secteur médico-social pour les usagers. C’est oublier un peu vite que les usagers ne sont pas des patients et de malades, et que cette préconisation ou injonction n’est pas toujours pertinente, sauf à considérer que la situation de handicap se réduit à la déficience et à son traitement.
Clara est une jeune fille sourde scolarisée dans une classe
de 5ième en collège, avec d’autres élèves sourds et accompagnée par
un service médico-social (accessibilité en langue des signes). Lors d’une
rencontre avec ses parents pour échanger sur la rentrée suivante et élaborer
les objectifs du projet personnalisé de scolarisation, sont évoquées ses
« difficultés » en mathématiques : « Clara fait globalement
les acquisitions de 5ième comme en témoigne son bulletin
scolaire ; elle a des notes tout à fait convenables, mais ses bases
(apprentissages de l’école élémentaire) sont fragiles et incomplètes ; il
serait nécessaire qu’elle ait une rééducation en logico-mathématique. » Les
parents réagirent vivement : « Mais arrêtez avec ça ! Depuis
l’école primaire, on nous dit et on lui dit qu’elle a des difficultés en maths,
Maintenant ça l’angoisse, les maths la terrorisent, chaque fois qu’on lui parle
de maths, ça la stresse ; alors qu’elle a de bonnes notes en 5ième
et que son professeur nous dit que c’est tout à fait correct pour la 5ième ! »
Clara, dans la continuité de son parcours entre
l’élémentaire et le collège avait apporté son héritage, transmis à tous les
professionnels : elle avait des difficultés en maths ! Ce que
réclamaient là ses parents, et sans doute elle-même, c’était le droit à la
rupture du regard que les professionnels portaient sur elle, alimenté par
l’exigence de continuité ; c’était le droit à un regard neuf de la part
des professionnels qui travaillaient avec elle depuis le collège, sans porter
les attributs dont les précédents professionnels l’avaient qualifiée.
La continuité des parcours a comme implicite la continuité
de la manière de voir les personnes, sans laisser lieu en définitive à la
possibilité de rencontre, et de découverte que permet toute nouvelle rencontre.
C’est comme si au regard de nouveaux professionnels, ce qui était important ce
n’était pas cette jeune fille qui devenait collégienne, avec ses nouvelles richesses
et ses nouvelles difficultés, mais la manière dont des précédents professionnels
voyaient cette personne.
L’idée de continuité de parcours est encore
vraisemblablement trop attachée à celui d’un patient ou d’un malade et fait
passer en arrière-plan la nécessité de la rupture de regard, indispensable
lorsqu’il s’agit des conditions d’accompagnement d’un usager (d’une personne)
basées sur les conditions de la construction d’une rencontre.
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