Alicia, ou l'impossible réussite
Je rencontre les parents d’Alicia, jeune fille sourde de 14
ans, venus me raconter comment se passait la scolarité de leur fille dans le
lycée français de la capitale d’un grand pays d’Afrique. Depuis deux, Alicia
suivait son parcours de scolarisation en 6ième puis en 5ième
dans le collège de cet établissement scolaire. Au regard des bulletins
scolaires que les parents me présentent, et des propos qu’ils tiennent sur la
scolarité de leur fille, il apparait que la scolarité et les apprentissages se
déroulent de manière satisfaisante. Les parents me font part toutefois de leur
préoccupation du niveau de leur fille en français, en particulier dans la
production écrite (structure de phrases, vocabulaire…). Rien qui ne m’étonne au
regard de ce que l’on peut connaitre des difficultés que peuvent rencontrer des
élèves sourds. Alicia est accompagnée par un « aidant » (les AESH
n’existaient pas dans l’organisation scolaire des lycées à l’étranger) qui
intervient dans la répétition orale de ce que disent les professeurs en classe,
ainsi que dans quelques explications complémentaires pendant les cours.
A l’issue d’une année passée dans cette 6ième
adaptée, les parents ayant eu leur mutation à l’étranger, se pose la question
de la modalité de scolarisation d’Alicia dans ce collège-lycée français, sans
classe spécialisée. L’équipe pédagogique spécialisée fit le pronostic d’un
échec assuré et inéluctable dans l’hypothèse d’une scolarisation en classe
ordinaire, même si Alicia pouvait bénéficier d’un aidant sur la totalité des
heures de cours. Mais il n’y avait pas le choix, et les parents inscrivirent
leur jeune fille au collège, en 6ième malgré ses deux ans de
« retard », cherchèrent (et trouvèrent) des aides humaines
individualisées.
Et deux ans plus tard, il s’avérait que ce n’était pas
l’échec avéré que prédisaient les professionnels spécialisés. Sans doute,
lorsque je rencontrai les parents, tout ne fut pas dit, et il est vraisemblable
que certaines lacunes d’apprentissage n’apparaissaient pas dans les bulletins
scolaires. Mais toujours est-il que la scolarisation d’Alicia dans un collège
« ordinaire » n’était pas une anomalie, et Alicia semblait
effectivement tirer profit de ce à quoi elle était confrontée pendant les
cours, tant sur le plan des apprentissages que de la vie sociale.
On assiste là à une réaction fréquent de professionnels
spécialisés : leur manque de confiance dans les capacités des jeunes en
situation de handicap dont ils ont la responsabilité, et le manque de confiance
dans les capacités de l’enseignement ordinaire à trouver des solutions aux
problèmes pédagogiques qu’il rencontre dans l’accueil des élèves en situation
de handicap. On peut se rendre compte dans le même temps que si Alicia était
restée dans le dispositif spécialisé adapté, elle n’aurait jamais pu faire les
apprentissages qu’elle fit dans le cadre du collège ordinaire.
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