"Name and shame"
« Nommer et couvrir de honte », telle est la
traduction de cette expression très prisée dans une certaine presse
anglo-saxonne. Il arrive que dans des institutions, dont les institutions
médico-sociales, qu’un professionnel, de terrain ou cadre intermédiaire, des
postures, pensées, attitudes, représentations, etc., en écart avec
« l’habitus » dominant de son institution, non conformes aux
habitudes, aux fonctionnements, aux impensés organisationnels et professionnels
de l’institution. Les fonctionnements institutionnels ont souvent du mal à
faire avec ce genre de professionnels, qui par ailleurs font souvent avancer et
évoluer leur institution.
Pour l’institution en tant que telle, constituée de ses
habitudes de travail et de pensée, l’une des manières de neutraliser ce genre
de situations est de qualifier, en la disqualifiant, la personne faute de
pouvoir disqualifier ses idées : c’est la « nommer » (name) pour
la désigner à l’opprobre professionnel (shame).
Car bien souvent, dans l’institution, les idées portées par
ce professionnel « marginal », et qui mettent en plus ou moins fort
questionnement cette institution, sont difficiles à contrer : manque de
réflexion et de pratique réflexive de beaucoup de professionnels, reproduction
des habitudes de travail et de pensée, peur des évolutions et du changement
induit par ces nouvelles approches, écart entre éthique de conviction et
éthique de responsabilité chez les dirigeants, conservation de certains acquis,
propension atavique à l’entre soi et au refus de l’altérité, manque d’occasions
et de lieux de débattre et de se confronter à l’éthique, bref de multiples
raisons de ne pas entrer en débat, et en même temps de rejeter ce qui apparait
comme un risque ou un danger.
C’est dans ce contexte que la qualification/déqualification,
le « name and shame » s’exerce : il est en effet plus facile de
s’attaquer à une personne, à qui on peut toujours reprocher quelque chose. Il
suffit de lui attribuer des attitudes ou des comportements à désavouer, ces
attitudes et comportements fussent-ils banals dans n’importe quelle autre
circonstance. La situation de désaveu est d’autant facilitée lorsque le
professionnel en question est en position de cadre intermédiaire et soumis à
des pressions « entre le marteau et l’enclume ».
Tous les arguments sont les bienvenus pour contribuer à
cette nomination / désignation / qualification : l’absence d’écoute
(puisque la personne tient à ses idées, voire les approfondit, la non adhésion
à la position adverse étant lue comme absence d’écoute) et de reconnaissance
(encore puisqu’elle n’adhère pas aux idées adverses) ou encore d’agressivité
(puisqu’elle tient à ses idées, parfois avec conviction, celle-ci étant
qualifiée d’agressivité). Parfois même le comportement social ou les attributs
physiques sont sollicités dans la neutralisation du débat. A travers tous ces
« défauts » attribués comme dysfonctionnements, à travers cette
désignation, c’est la personne dans son intégralité qui est désignée pour subir
l’opprobre, le rejet.
« Name and shame » : c’est le processus par
lequel des individus ou des groupes sociaux sont stigmatisés, parfois jusqu’à
la mort ou l’extermination par des « majorités ». Fait divers en
Grande-Bretagne : un homme, désigné, à tort, par la presse à scandales
locale comme un délinquant sexuel, a échappé de peu à la mort, ainsi que ses
enfants, suite à l’incendie criminel de son habitation.
Si l’on n’arrive pas à ces extrémités dans les institutions,
des situations telles que le harcèlement, la mise à l’écart, le dénigrement, le
« bouc émissaire », sont des
phénomènes qui se produisent dans les institutions plus fréquemment qu’on ne
veut bien les connaitre, avec parfois des réponses dramatiques comme le
silence, la honte personnelle, la dépression ou le suicide.
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