Y a-t-il plus de différences entre deux sourds qu'entre deux entendants ?
On pourrait le croire, à observer un certain nombre de
postures, attitudes, pratiques et organisations professionnelles. L’argument le
plus commun pour défendre les petits nombres d’élèves dans les dispositifs de
scolarisation spécifiques pour élèves en situation de handicap (ULIS ou unités
d’enseignement) fait appel à l’idée des différences individuelles entre les
enfants.
La justification de petits nombres dans les dispositifs d’élèves
en situation de handicap tenait, dans les représentations communes, à la
lourdeur de la tâche enseignante pour répondre à l’hétérogénéité des
élèves : les CLIS, puis ULIS, voyaient leur nombre limité à 12 ou 10, dans
les classes des établissements spécialisés, certaines classes pouvaient être en
dessous de 5 (cela n’était pas rare dans les établissements pour élèves
sourds). Au-delà, l’acte pédagogique était réputé impossible. Dans un
dispositif avec des élèves ayant une déficience intellectuelle, ou des élèves
sourds, il y a bien sûr des différences individuelles
d’« intelligence », de langage, de rythme d’apprentissage, de
modalités d’apprentissage, etc. Mais dans une classe ordinaire aussi, il y a
tout autant de différences individuelles d’« intelligence », de
langage, de rythme d’apprentissage, de modalités d’apprentissage, etc. Et sur
ce strict plan comparatif, il n’y aurait pas lieu d’avoir des classes moins
nombreuses d’élèves en situation de handicap.
Car cette obligation du petit nombre repose en définitive
sur une attribution de statut différent aux élèves en situation de handicap et
aux élèves qui ne sont pas en situation de handicap. Et mettre ainsi en avant
l’hétérogénéité d’un groupe d’enfants suppose en filigrane l’idée que les
élèves ordinaires ne présentent pas cette hétérogénéité. Revendiquer la réponse
organisationnelle de petits groupes pour les élèves en situation de handicap
est l’équivalent d’une revendication de faire des classes de garçons avec un
plus petit nombre que les classes de fille, sous le prétexte que les premiers
seraient moins attentifs dans la durée.
Cette représentation d’attributs différents selon qu’il
s’agit d’élèves en situation de handicap ou non a des effets obstacles à
l’égalité de la scolarisation. Ainsi il était question de scolariser dans une
classe de collège, en « inclusion », un groupe de 7 élèves sourds,
accompagnés lors de cette inclusion d’enseignants spécialisés ou d’interfaces
scolaires (langue des signes). Les enseignants spécialisés et les enseignants
du collège refusèrent ce projet sous le prétexte de l’hétérogénéité des profils,
comme si le reste de la classe n’était pas hétérogène. Par ailleurs, le petit
groupe, avec la modalité de préceptorat qui se met en place dans ces petits
groupes a pour conséquences la création d’obstacles en termes d’autonomie dans
les apprentissages et le travail, d’indépendance relationnelle et affective, de
socialisation, etc. En deçà d’un certain seuil, on pense faire mieux avec moins
d’élèves, alors que parfois on fait pire !
Certes, pour certaines situations (je pense à celle des élèves
autistes), le petit nombre est un critère absolu dans la gestion de la classe. Mais
on ne peut généraliser cette règle à l’ensemble des classes d’élèves en situation
de handicap, et l’argumentation est parfois sans fondements.
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