Penser le handicap comme créativité
Le handicap est historiquement et habituellement envisagé dans sa négativité, en référence à des limites ou à des manques personnels (déficiences, troubles, incapacités…), dont les conséquences fâcheuses sont des limitations de participation sociale, d’autodétermination, de droits… Porter un tel jugement sur le handicap renvoie à une conception, dont on dit pourtant qu’elle est archaïque et dépassée, qui fait pourtant la trame des représentations à l’œuvre au quotidien, tant dans le grand public que chez les professionnels les plus experts : le handicap est un problème individuel de santé.
Dans cette perspective bio-médicale (ou plus précisément,
dans la dernière période, bio-psycho-médicale), la responsabilité du handicap
et de ses inconvénients incombe à la personne concernée, quasi exclusivement :
si une personne est en situation de handicap dans sa vie, c’est parce qu’elle à
une maladie, un trouble, une déficience ou une incapacité. Tout au plus
convient-il d’être attentif au milieu dans lequel cette personne vit, afin que
celui-ci ne présente pas trop d’obstacles (c’est souvent ainsi que sont
envisagés les aménagements et l’accessibilité). Mais dans le fond, le handicap
reste attaché à la situation « défectueuse » de la personne. En
témoigne la confusion que l’on peut constater dans des expressions comme
« situation de handicap sensoriel », où une nouvelle formulation, qui
concerne en principe une situation de vie, une expérience de vie, une condition
de vie, est ramenée à la définition et à l’essentialisation d’une
caractéristique personnelle négative. Dans cette perspective conceptuelle, il
est impossible de penser le handicap comme condition et opportunité de
créativité.
Penser le handicap comme créativité, à rebours de la
représentation négative et limitative bien prégnante, c’est changer de
paradigme. C’est même effectuer une révolution conceptuelle, dont les contenus
sont pourtant déjà présents dans des modèles existants, mais qui reste entravée
par le poids des habitudes et des modes de pensée dominants, et profondément
ancrés dans nos esprits. C’est considérer qu’une situation humaine, une
expérience, une condition, une habitude de vie, sont produites de l’interaction
entre une personne et un environnement. En ce qui concerne le handicap, Patrick
Fougeyrollas et son équipe ont magistralement montré ce qu’il en était de cette
interaction dans la Classification du Modèle de Développement Humain –
Processus de Production du Handicap (MDH-PPH).
Une fois ce principe posé, et sortis d’une détermination
unique dévolue à la personne, il apparait que pour tout un chacun, quelles que
soient ses caractéristiques, la vie est faite d’ajustements (et non simplement
d’adaptation unilatérale) entre une personne et le milieu. C’est ce que dit
Anne-Lyse Chabert, à partir de son expérience personnelle : « il
s’agit toujours d’expériences de vie qui se déclinent comme autant
d’ajustements permanents entre le terrain que fournit le milieu et ce que la
personne handicapée est à même d’y réaliser. Le handicap n’a dès lors plus
aucune valeur négative ; c’est au contraire sur son versant très positif
de créativité que je mets désormais l’accent » (Vivre son destin, vivre sa
pensée, 2021, p.144). L’écrivain Pierre Lemaitre, ne dit pas autre chose à
propos des DYS : « les DYS, rompus à l’art du contournement, sont
extrêmement imaginatifs. Pour trouver des solutions, ils sont surentraînés. Ce sont
les champions de la transgression » (L’Obs, en ligne, 5/01/2023).
En pensant « pathologie » de la personne
handicapée, tout au plus peut-on penser aux capacités d’adaptation de la
personne concernée à son environnement, en rendant celui-ci plus facilitant. En
pensant ajustements permanents entre le milieu et la personne, on peut
s’autoriser à observer et penser les personnes qui vivent des situations de
handicap, comme des personnes à part entière, faisant preuve, comme nous tous,
de créativité dans ces ajustements.
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