Les apparences de l'inclusion
Dans les années 1980, une célèbre marque de boissons gazeuses a utilisé une formule publicitaire qui fit florès. « Ça ressemble à de l’alcool, c’est doré comme l’alcool, mais ne n’est pas de l’alcool ! » Ainsi pourrait-on qualifier aujourd’hui l’inclusion et les dispositifs inclusifs en France : cela ressemble à de l’inclusion, cela utilise le même langage, mais ce n’est pas de l’inclusion. Que l’on parle aujourd’hui, pour désigner comment les personnes en situation de handicap participent de la vie sociale, d’inclusion, de société inclusive, de transition inclusive, d’inclusivité, etc. Les formules sont bien éloignées de la réalité vécue par les personnes concernées. Oui bien sûr il y a eu des progrès, des évolutions, dont d’ailleurs les responsables politiques ou administratifs s’enorgueillissent : des réglementations, des dispositifs, une communication généreuse, sans compter les numéros verts !
Mais fondamentalement, justement, ce sont seules ces petites
choses qui changent, sans les changements structurels qui seraient nécessaires
pour faire valoir l’effectivité des droits et une pleine participation sociale,
et dont on se garde bien évidemment de parler. La situation des élèves
handicapés à l’école est emblématique de ces choix politiques. Des plans se
sont succédés (par exemple les plans autisme), les dispositifs se sont
multipliés (ULIS, UEE, UEMA, DITEP, ….), l’idée que l’accueil de ces élèves
était une obligation s’est (un peu) répandue… Mais tout cela se heurte de plein
fouet à ce qu’est l’école aujourd’hui, au rôle qu’on veut lui faire jouer et
aux moyens qu’on y met, à sa fonction politique en quelque sorte.
En même temps que le discours se fait insistant, et même
injonctif, sur l’inclusion des élèves handicapés, les inégalités des
« bénéfices » de l’éducation ne cessent de s’accroitre par les choix
politiques qui sont effectués : ségrégation sociale entre les
établissements scolaires par la carte scolaire reproduisant la cartographie
populationnelle et répartissant ainsi les élèves dans des ghettos de pauvres et
des ghettos de riches, dont les chances de parcours scolaires ne sont pas
identiques, mais aussi renforcement d’un enseignement privé élitiste et
ségrégatif, des systèmes d’options et de parcours favorisant ceux qui
maitrisent le système, etc. On en arrive même à des paradoxes étranges où l’on
voit un établissement extrêmement élitiste (sur le plan social et sur le plan
de la performance des apprentissages) clamer haut et fort que l’inclusion des
élèves handicapés fait partie intégrante de son projet d’établissement. Comment
est-ce concevable de pratique en même temps l’exclusion et l’inclusion ?
Plus insidieusement, la perspective inclusive se heurte aux
finalités d’une école dont la fonction fut, et reste sélective, celle d’une
répartition des élèves sur des parcours qui mèneront certains d’entre eux (dans
des établissements qui disposeront de ressources) vers de « hautes »
fonctions, laissant aux autres des miettes plus ou moins consistantes. Et ce
n’est pas une méritocratie fantasmée qui remédie à la situation. Dans ces
conditions de sélection des plus performants, les divers aménagements de l’école,
des « plans inclinés pédagogiques » aux aménagements d’examens, ne
peuvent que faire grise mine face au rouleau compresseur d’une école qui
reproduit sans cesse des inégalités.
C’est pour cette raison que ce qui se présente aujourd’hui dans
le système éducatif comme « école inclusive » n’est souvent
qu’aménagement mineur, de surface, caution et excuse argumentative, ou leurre,
c’est-à-dire des apparences de l’inclusion. Les mots ont pour fonction à la
fois de nommer, de « créer » et de masquer des réalités (comme la
publicité). Le qualificatif inclusif nomme aujourd’hui des réalités de
ségrégation, de séparation, d’exclusion, faisant du concept
« inclusion » une réalité éloignée des intentions initiales, et
masquant la terrible réalité d’une société non inclusive.
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