Autonomie (liberté) et soumission
On assiste à un paradoxe particulier de notre société contemporaine, entre l’affirmation d’une liberté et autonomie fondamentales et certaines formes de soumission sociale. Ce paradoxe traverse tous le milieux, et bien évidemment aussi le fonctionnement médico-social : organisations et accompagnements. L’idéologie discursive dominante, hégémonique même, prône les principes de liberté individuelle, d’adaptation, de flexibilité, d’autonomie, d’agilité, d’initiative, d’entreprenariat, et bien sûr d’autonomie, etc. L’homme, quel que soit son genre, est devenu son propre centre de gravité. Il est devenu responsable de lui-même : quand il s’agit de réussites, tout va bien ; quand il s’agit de difficultés ou d’échecs, et que la responsabilité lui en est attribuée, c’est beaucoup plus difficile, et cela à des conséquences parfois dramatiques. La quête du bonheur et le développement personnel, avec leurs impasses, ont envahi les rayons des librairies, les rapports au sein des entreprises (le management se situe d’emblée dans cette philosophie) et le monde intérieur de chacun. Un tel discours stigmatise ce qui ne correspond pas à la logique promue : l’assistanat, le manque d’initiatives supposé, et même le manque d’adhésion ou les réserves envers cette idéologie en font les frais : ringardise, immobilisme, inadaptation, etc.
Ce discours
libéré, tenu en général par ceux qui ont quelque pouvoir ou qui y adhèrent,
s’accompagne la plupart du temps chez ces acteurs de pratiques qui sont à
rebours des discours tenus. C’est ainsi que dans le champ politique les
discours sur la liberté, la responsabilité ou les devoirs s’accompagnent
souvent d’un certain nombre de restrictions de ces libertés et d’une démocratie
qui périclite. Dans le management (même lorsqu’il se prétend libéré,
bienveillant ou humaniste) ce sont bien souvent des pratiques gestionnaires
directives et injonctives, sinon autoritaires qui s’imposent, où il n’est pas
question d’interroger les valeurs, fonctionnements et objectifs de
l’entreprise. Les installations de tennis de table ou les fauteuils relaxants
dans la salle de repos tirent un voile opaque sur des pratiques contraignant
les salariés à « obéir » (on peut réactiver ici le concept de
servitude volontaire d’E. de la Boétie !), se soumettre, appliquer les
procédures et les bonnes pratiques, adhérer aux impératifs comptables et des
gestion, adhérer aux objectifs de l’entreprise (fussent-ils uniquement le
profit des actionnaires).
Ces
contradictions sont bien évidemment présentes dans le fonctionnement du secteur
médico-social. Elles se manifestent peut-être sous la forme originale d’une
promotion unanime de l’autodétermination, de l’autonomie, de la liberté de
choix, de la valorisation des rôles sociaux, de l’empowerment, de la
participation sociale. Les incantations nombreuses et consensuelles à ces
« valeurs » sont en tout cas le signe de l’importance que notre
société y accorde. Et en termes d’objectifs, tout cela reste pertinent, tant la
situation des personnes en situation de handicap était éloignée de l’effectivité
de ces valeurs. A ce titre, les personnes concernées participent à ce à quoi
peut prétendre tout être humain, la responsabilité et l’autonomie.
Il y a peut-être un hic ! Dans une société qui met ces valeurs au sommet de la réalisation humaine, ceux qui n’y arrivent pas, pour diverses raisons, sont dévalorisés dans la hiérarchie établie par et pour ceux pour qui ces principes sont réalisables, atteignables et effectifs. Celui qui n’a pas d’emploi est contraint de se responsabiliser pour en trouver un, de faire la preuve de cette recherche (il ne lui suffit pas de traverser la rue) et d’en obtenir un, indépendamment du marché du travail existant. S’il n’en trouve pas, cela devient de sa responsabilité, il devient un assisté volontaire. C’est cela l’autre face du discours hégémonique de la survalorisation individuelle : chacun, même « dominé », est contraint à la responsabilisation, à l’engagement actif : adhésion soumise aux valeurs de l’entreprise, engagement dans un projet proactif (de vie, d’accompagnement). Ce côté devient même la condition de survie : faute d’adhésion aux valeurs de l’entreprise, c’est la porte ; faute de recherche active d’emploi, c’est la radiation de Pôle Emploi ; faute d’engagement dans le projet d’accompagnement pour une personne en situation de handicap, ne serait-ce pas aussi une disqualification ?
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