Ecole inclusive : un pléonasme ?
Faut-il parler d’école inclusive ? Mais la nature de l’école n’est-elle pas déjà, en elle-même, par nature, d’être inclusive, c’est-à-dire de manifester la volonté politique de scolariser tous les enfants et adolescents d’âge scolaire ? C’est du moins aujourd’hui le discours universel tenu tant dans les instances internationales (ONU et ses satellites, Europe) qu’en France (dans les discours et les réglementations). De ce point de vue, en admettant que l’école soit ce qu’elle prétend être, le qualificatif inclusive n’apporte rien au mot école et ne serait plus de mise. C’est un pléonasme, c’est-à-dire, dans cette occurrence, un mot qui ne fait que répéter, pour le renforcer ou de manière inutile, l’idée contenue dans le premier mot. A ce titre on ne devrait pas dire école inclusive, mais tout simplement école, étant entendu que la définition actuelle de l’école contient la mission de scolariser, dans les meilleures conditions possibles, tous les élèves. Alors pourquoi ce pléonasme a-t-il cours de manière si insistante ?
La volonté politique aujourd’hui qualifiée d’inclusive n’a
pas toujours eu cours. En France, la scolarisation a mis longtemps avant de
vouloir accueillir toutes les populations. Longtemps, l’instruction ne fut
longtemps réservée qu’à une élite (civile ou religieuse), sans instruction pour
le peuple. Longtemps, les filles ne méritèrent pas d’être instruites, et quand
elles le furent, ce fut sur des programmes spécifiques et à des niveaux restreints.
Jusqu’aux années 1970, l’école était divisée en deux « filières »,
l’une qui menait au baccalauréat et à l’université, l’autre qui menait au
certificat d’études, au brevet et aux diplômes professionnels (lieux séparés,
programmes distincts, …), avec quelques rares transfuges justifiant du principe
méritocratique. Une école qui avait de tels projets politiques, d’exclusion, de
discrimination, de ségrégation, envers plusieurs catégories de population, ne pouvait
certes pas être qualifiée d’inclusive. La démocratisation de l’éducation, et de
nos sociétés en général, a changé la donne politique et idéologique.
Aujourd’hui, le droit à l’éducation est acquis pour tous, et c’est dans cette
perspective qu’elle peut être qualifiée d’inclusive.
Toutefois, l’insistance pléonastique témoigne peut-être d’un
écart entre la définition convenue et discursive de l’école et les réalités de
son fonctionnement, non inclusives. En premier lieu, l’école fonctionne dans
une société qui n’est pas inclusive : augmentation des inégalités, de la
pauvreté, de l’emploi précaire, partiel et mal rémunéré, du mal logement et du
non logement, etc. L’injustice et les inégalités sont légitimées et renforcées
par le discours hégémonique néolibéral. L’école ne peut que reproduire les
valeurs que porte la société. Par conséquent, dans ce contexte politique,
l’école fonctionne de manière non inclusive. Au niveau macro-politique, on
observer en effet que le système éducatif privilégie, dans les faits, des
valeurs et des situations qui vont à rebours de l’inclusion de tous :
ségrégation des populations dans les établissements scolaires (enseignement
privé, effets de la carte scolaire, choix d’options, …), financements
différenciés (les classes préparatoires ou grandes écoles versus universités
par exemple). Sans compter que, dès l’école maternelle, l’école fonctionne
comme un système de sélection (et de reproduction) des futures élites, basé sur
le mythe méritocratique. Mais sélectionner, c’est exclure progressivement un
certain nombre d’élèves.
Dès lors, quand il s’agit d’éducation des élèves en
situation de handicap, on se trouve devant une contradiction : entre d’une
part une école dont le fonctionnement sélectionne et exclut, et d’autre part un
discours politique universel qui accorde explicitement aux élèves en situation
de handicap le droit d’être scolarisés. L’issue de la contradiction est située
dans une réponse discursive : on qualifie l’école d’inclusive, on décide
de quelques mesures catégorielles améliorant leur place dans l’école. Sans
vouloir changer ni interroger les fonctions non inclusives de l’école. D’où l’utilisation
insistante du pléonasme.
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