Médecine et pédagogie, des liaisons dangereuses
Il y a toujours eu des liens, de différentes natures, entre médecine et pédagogie : des médecins se sont fait pédagogues, les apprentissages ont intéressés des médecins, etc… Le rapport entre les deux domaines est intéressant à observer aujourd’hui que l’approche du handicap prétend s’extraire d’un point de vue strictement limité à la déficience pour intégrer une approche systémique des personnes en interaction avec leur environnement. Or paradoxalement, il semble qu’on assiste aujourd’hui à un nouveau positionnement et à de nouvelles formes de pouvoir de la médecine à l’égard de la pédagogie.
Les seuls professionnels habilités à prodiguer des conseils
aux enseignants ou aux personnels d’accompagnement sont référés à la santé.
Ainsi la HAS (Haute Autorité de Santé) indique-t-elle les bonnes
pratiques à adopter avec différentes catégories d’élèves ayant des déficiences
ou des troubles. Ainsi a-t-elle produit en décembre 2009 de volumineuses
recommandations de bonnes pratiques concernant la surdité de l’enfant, certes
hors accompagnement scolaire, mais impactant fortement les pratiques scolaires,
dans lesquelles une autorité de santé met en place des normes, tout aussi
injonctives en définitive qu’une circulaire, sur les choix langagiers à
effectuer par les familles (accompagnées par des professionnels) comme si des
choix de langue, de culture et d’identité était une affaire de santé. Ainsi
a-t-elle encore produit des recommandations sur les conduites à tenir avec des
élèves TDAH (ayant des troubles de déficit de l’attention avec ou sans
hyperactivité) et des conseils aux enseignants, dont celui de « placer le
pupitre de l’élève près de l’enseignant » (On peut s’interroger : que
connait-on des pratiques de la classe quand on ne sait pas que les élèves n’ont
plus de pupitre !). Les administrations de la formation des enseignants
font référence à ces indications comme source de savoir des enseignants.
Récemment encore (septembre 2021) la HAS a publié un volumineux recueil de
recommandation de bonne pratique : « Accompagner la scolarité et
contribuer à l’inclusion scolaire », accompagné d’un non moins
volumineux argumentaire.
Ainsi la vie de ceux qui dérogent aux normes en termes
d’aptitudes (intellectuelles, comportementales, physiques, …) est-elle régie en
termes de santé, sous l’autorité des institutions de santé. Ce n’est pas pour
rien que depuis 2009 le secteur médico-social (qui a gardé sa référence
« médico ») est sous l’autorité des Agences régionales de Santé, que
les budgets relèvent de l’Assurance maladie, que la place des médecins est
toujours aussi importante dans la détermination des handicaps (confondus dans
ce contexte avec les déficiences) et dans les orientations. Dans cette
configuration, l’élève qui a une maladie, une déficience, un trouble ou une
incapacité sera défini par la nature de cette caractéristique, il sera réduit à
cette caractéristique, et il sera attribué à ces caractéristiques les
dysfonctionnement qu’on observe, ainsi que les réponses pédagogiques
standardisées qu’une telle description induit.
Il devient « normal » dans ces conditions que la
conduite à tenir à l’école et en classe soit dictée par des critères et de
normes médicaux et paramédicaux. Ce qui a pour effet de déposséder les
pédagogues de la construction d’approches d’apprentissage adaptées aux élèves
concernés (ainsi qu’à d’autres élèves). Les difficultés d’apprentissage sont
dès lors adressées à des spécialistes externes en mesure de résoudre les
problèmes. Cela a pour effet également de penser l’adaptation en termes
individuels à tel élève qui a telle caractéristique (théorique, conforme à une
nomenclature médicale), et non à un changement structurel des modalités
pédagogiques et didactiques susceptible de favoriser tous les élèves. Cette
soumission de la pédagogie à des problématiques de santé est bien éloignée des
perspectives inclusives, conditionnée par des changements structurels dans l’accompagnement
de tous les élèves.
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