Handicap, pour une révolution participative
de Loïc ANDRIEN et Coralie SARRAZIN (érès, 2022)
La participation sociale est aujourd’hui un terme et un
concept qui semblent partagés en ce qui concerne les personnes en situation de
handicap, tant dans les politiques publiques que dans les discours
institutionnels, peut-être un peu moins dans les pratiques professionnelles et
organisationnelles. Mais il ne suffit pas de la décréter pour qu’elle soit mise
en œuvre, tant il y a d’ambiguïtés sur ce en quoi elle consiste et sur les
conditions de son émergence et de sa mis en place. Voici un petit ouvrage (115
pages) qui tente d’éclaircir et d’expliciter la problématique de la
participation sociale, et même celle d’une « révolution participative »
tant les enjeux sont essentiel., Au-delà d’une définition première (« La participation sociale est
le processus par lequel une personne ou un groupe de personnes prend part aux
décisions et aux actions d’un groupe social plus large », p.46) les
auteurs s’attachent à traiter en particulier les facteurs qui la favorisent et
le contexte (français) dans lequel cela se construit.
Trois chapitres, trois facteurs en constituent la trame : l’autodétermination, la désinstitutionnalisation, le risque.
Le premier facteur est le concept d’autodétermination,
présenté comme enjeu politique, décliné comme programme d’action pour
l’autonomie des personnes en situation de handicap et pour la transformation
des pratiques et des organisations médico-sociales. Avec parfois, chez les
professionnels, des propos qui manifestent une compréhension biaisée de ce
qu’est l’autodétermination : « le mercredi, c’est
autodétermination ! ». Les auteurs restituent les enjeux de ce
concept (l’autodétermination est un droit) et de sa mise en œuvre dans la
réalisation des habitudes de vie des personnes en situation handicap. Et
comment elle ne peut aucunement être une incantation ou une attitude spontanée.
Elle exige tout au contraire d’être apprise, d’en faire l’expérience et
l’apprentissage pour qu’elle puisse être un droit effectif et une compétence
exercée. « Développer son autodétermination, c’est travailler au développement d’une
multitude de compétences et d’habiletés, telles quel ses habiletés sociales,
ses capacités de communication et d’adaptation, en encore ses compétences en
résolutions de problèmes. » (p.24). Le modèle fonctionnel de l’autodétermination, leur
permet d’avancer une définition fonctionnelle et concrète des enjeux, qui ne se
réduisent pas à « pouvoir faire des choix » : « L’autodétermination
est une compétence acquise et non innée qui s’apprend tout au long de la vie, à
travers nos expériences et les occasions qui se présentent à nous. Pour les
personnes en situation de handicap, l’environnement joue un rôle primordial
dans leur capacité à développer leur autodétermination, puisqu’il va la
favoriser en proposant les occasions nécessaires à son apprentissage. »(p.50).
Le chapitre sur la désinstitutionnalisation est tout à fait
intéressant, et présente une perspective peu souvent évoquée. Ce que l’on
entend par désinstitutionnalisation consiste le plus souvent en une fermeture
des établissements spécialisés (ce qui peut se comprendre au regard de la vie
avec les autres et de la participation sociale), que l’on pourrait d’ailleurs
nommer à ce titre déségrégation. Ici les auteurs s’attachent bien à la question
de l’institution (instituant / institué) et positionnent la
désinstitutionnalisation comme une partie nécessaire d’un processus
d’institutionnalisation (les institutions « ordinaires » existent
bien, et c’est même la condition de la vie sociale) : « La désinstitutionnalisation
c’est avant tout l’élément d’un processus, le processus d’institution…
Attribuer des droits sans réviser en profondeur les modes de régulation sociale
qui fondent nos organisations ne peut que contribuer au non-respect de ces
droits. »
(p.71) de ce point de vue, ils évoquent la nécessaire désinstitutionnalisation
/ (ré)institutionnalisation de l’école afin que celle-ci soit en mesure
d’accueillir les élèves en situation de handicap : « La
désinstitutionnalisation de l’école est une mutation en profondeur de ses ressorts
et de ses logiques, des façons de penser des acteurs qui la fabriquent au
quotidien. Nous avons besoin d’une école instituante, créatrice et innovante,
faisant preuve d’une rationalité sensible, pour que tous les enfants, qu’ils
soient ou non en situation de handicap, s’y sentent bien accueillis, qu’ils
puissent effectivement y rentrer et y faire un bout de chemin. »
(p.70).
La
participation sociale, c’est aussi intégrer la notion de risque dans la
problématique. Si la dignité d’une
personne se trouve dans son autodétermination, cela signifie que la protection
des personnes, fondement historique de l’action médico-sociale, ne peut plus
être la référence unique. Ainsi, « empêcher les personnes présentant
une déficience intellectuelle de s’exposer à des risques normaux [avait] un
effet délétère sur leur développement personnel et sur leur dignité, en plus de
renforcer la présomption d’incompétence qui pèse encore trop souvent sur elles. »
(p.92). Il s’agit donc de réhabiliter la dignité du risque.
C’est en partant de l’explicitation et de la compréhension de tels concepts, et de leur expérimentation dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap, que la révolution participative peut advenir. Pas seulement en réduisant la transformation de l’offre de soins à une réponse à des besoins. « La transformation de l’offre médico-sociale ne concerne pas uniquement le secteur médico-social. En effet, il serait vain d’imaginer transformer les IME si on ne transforme pas l’école de la République par ailleurs, comme il serait vain de parler d’habitat inclusif si l’on ne conçoit pas de nouvelles façons d’habiter l’espace collectif, bien au-delà des établissements spécialisés, bien au-delà des familles. Limiter la transformation de l’offre médico-sociale à un travail entre acteur de ce secteur, chargés de déployer de nouvelles modalités d’action, ne sert qu’une logique d’efficience, à l’instar des différentes réformes qui ont touché le secteur sanitaire depuis quelques années. Cette approche de la transformation de l’offre, dominée par une logique économique, passe à côté de deux grands enjeux : l’autodétermination et la désinstitutionnalisation. » (p.103)
Extraits de la présentation par l’éditeur
Dans les institutions médico-sociales, domine largement
la volonté de protection des personnes en situation de handicap, ce qui induit
souvent des logiques incapacitantes, au détriment du soutien à leur
autodétermination, qui implique la notion de risque. Pour qu’elle puissent
réellement décider de leur vie, l’accompagnement socio-éducatif doit être
construit autour de la dignité du risque : penser le risque pour penser
les potentialités de chacune d’elles. Parce que l’autodétermination n’est pas
une question uniquement individuelle, les auteurs défendent la nécessité de
construire des environnements favorables au sein desquels de réelles
alternatives peuvent être proposées aux personnes concernées.
Il s’agit là d’une véritable révolution socioculturelle,
participative et innovante qui demande de cesser de se concentrer sur les
demandes, les besoins et les projets
de vie afin de concevoir les conditions
nécessaires à l’autodétermination de chaque usager. En effet il est essentiel
de repérer les freins et les responsabilités institutionnelles dans la
production ou la prévention des situations de handicap. Comment l’institution
peut-elle se configurer pour faire avec, soutenir, stimuler et surtout laisser
se construire l’expérience citoyenne en interdépendance avec les partenaires et
alliés de la société ordinaire ?
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