Une transition inclusive ?
Un nouveau paradigme s’est progressivement installé dans nos habitudes sociales, celui de l’inclusion, et en particulier celui de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Nombre d’acteurs se sont empressés d’investir et de coloniser le terme, à défaut parfois de pouvoir en conceptualiser toutes les implications. On a ainsi obtenu des « objets » inclusifs, des dispositifs inclusifs de logement, de scolarisation, de tourisme, de transport, de soins ou de vie citoyenne, qui se voient qualifier d’inclusifs pour décrire des fonctionnements qui, au moins au départ, ressemblent furieusement aux fonctionnements qui les précédaient, alors qualifiés d’intégratifs ou de spécialisés. L’étiquette ne modifiait pas toujours les pratiques. La société restait non inclusive, mais sous l’appellation inclusive !
A l’école, les CLIS sont passées de l’appellation
« intégration scolaire » à « inclusion scolaire » avant
d’être nommées Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). Les
pratiques n’ont pourtant que peu évolué, et l’esprit « spécialisé »
demeure. L’école d’aujourd’hui, revendiquée comme inclusive par les pouvoirs
publics, se manifeste de la même manière que l’école qui n’était pas déclarée
inclusive, par le refus de scolarisation d’enfants en situation de handicap, par
l’absence d’aménagements raisonnables et d’accessibilité, l’indigence des aides
humaines et le maintien d’un secteur spécialisé ségrégatif.
Le réel s’impose donc pour interroger l’affirmation du
caractère inclusif de phénomènes qui ne le sont pas vraiment. Le terme
transition inclusive apparait fort à propos pour relativiser la situation, et
sans doute mieux décrire le réel. En effet, parler de transition inclusive
permet de signaler qu’il s’agit d’une dynamique, d’une évolution, d’une étape
allant vers les caractéristiques d’une inclusion, entre un moment passé où
l’idée inclusive n’existait pas ou était embryonnaire, et un moment futur, un
horizon, une perspective où les institutions de la société accueilleront les
différences comme en faisant partie de plein droit et à égalité. Le terme
désigne en quelque sorte un point d’équilibre orienté vers une avancée
inclusive.
Selon cette perspective, il importe toutefois de maintenir
une certaine vigilance, tant ce moment reste instable et court le risque de
perdurer. Passer à une perspective de transition appelle à approfondir et à
aller plus loin dans la mise en place de l’accès à la participation sociale,
aux droits et à l’autodétermination des personnes concernées. Il ne faut pas
attendre que le concept d’inclusion ne désigne en l’occurrence un état de
fonctionnement, mais plutôt un idéal, une valeur, un horizon permettant de
mettre des balises de fonctionnement
dans ce qu’il faudrait modifier de la situation instable d’aujourd’hui. La
notion de transition inclusive est à ce titre une description raisonnable et un
outil opérationnel de changement.
Mais elle peut aussi porter une autre signification. En
effet, au titre d’une qualification « transition inclusive », toute
opération, situation ou changement peut en être attesté ; et la situation
actuelle se justifierait dans son fonctionnement, même extrêmement
insatisfaisant, au nom de la transition inclusive. Ainsi malgré les nombreuses
impossibilités de scolarisation des élèves en situation de handicap, le manque
d’aide humaines, les obstacles administratifs aux inscriptions, l’absence de
formation, etc. l’école peut-elle être déclarée comme étant satisfaisante quant
à l’inclusion. Ainsi encore, la réduction à 20% de logements accessibles avec
la loi ELAN se manifeste-t-elle comme un élément de transition inclusive, là où
la loi de 2005 était bien plus ambitieuse.
Comme souvent dans les phénomènes sociaux, le langage et les
mots employés ont plusieurs sens, ou plusieurs interprétations en fonction des
choix politiques, idéologiques ou éthiques de celui qui tient le propos.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire