Professionnels des ESMS : prolétarisation en cours ?
Le processus de prolétarisation, qui avait été défini en son temps par Marx, relève de plusieurs aspects, dont celui de se mettre complètement au service de quelqu’un d’autre (une personne ou une organisation). A ce titre, la demande d’adhésion aux valeurs, au fonctionnement, aux objectifs, etc. de l’entreprise, qui semble d’une grande évidence dans le discours managérial, n’en demeure pas moins comme une telle caractéristique. Le processus se manifeste aussi, concomitamment, par l’aliénation de l’individu, incapable, dans ce fonctionnement, de s’investir réellement dans sa fonction sinon en adhérant à quelque chose d’extérieur à lui, incapable aussi d’exercer son propre jugement et évaluation de ses tâches, de ses fonctions et de ses missions, imposées, et de faire preuve d’initiative et de créativité.
De nombreuses professions du lien, qui auparavant mettaient
en places des adaptations personnelles, en faisant preuve de créativité, sont
aujourd’hui réduite à appliquer des consignes, des procédures, des normes, des
recommandations, des réglementations, des savoir-faire, et même des
savoir-être. Tel est le cas des professions éducatives et
d’accompagnement : enseignants, travailleurs sociaux, etc. Les
travailleurs sociaux ne sont pas prolétarisés seulement en fonction de leurs
rémunérations en « baisse relative » : si, il y a une
quarantaine d’années, le salaire d’un éducateur spécialisé pouvait être entre
1,8 et 2 fois le SMIC, aujourd’hui il serait plutôt autour de 1,2 fois le SMIC.
Les autres catégories de travailleurs sociaux ont suivi la même pente.
Le processus de prolétarisation est au cœur de l’exercice de
leur profession. Dans les établissements sociaux et médico-sociaux, en effet,
les conditions de fonctionnement se sont calées sur des fonctionnements
« d’entreprises », sur les modèles du nouveau management public,
lui-même inspiré de l’entreprise privée, dont le modèle de rentabilité devient
la norme. Le pilotage par l’économie et la comptabilité a profondément modifié
les « cœurs de métier », avec toutes les conséquences sur les
identités professionnelles. Certes les identités professionnelles ne peuvent
rester fixes ou figées, mais ici elles n’évoluent que sous la contraintes de
choix idéologiques (le modèle économique néolibéral) qui s’imposent comme une
nécessité.
Concrètement, cela se manifeste par les expériences du
quotidien. La soumission à la rentabilité et/ou aux économies conduit à des
pratiques dont les priorités sont à une technicité minimale, régie par une
exigence bureaucratique de compte-rendus, de remplissages de tableurs et de
rédaction de multiples écrits. C’est la négation de la relation humaine au
profit d’une automatisation technique ou de numérisation de la relation. Il n’y
a plus lieu de prendre le temps d’un échange, ou d’un café, condition pour
établir parfois un certain bien-être pour la personne en situation de handicap
ou de vulnérabilité. Répondre à ses besoins ou à ses demandes de socialisation
ne sont plus de mise devant la priorité de l’exécution de tâches éducatives ou
d’accompagnement prédéfinies et entrant de manière exclusive dans les bonnes
pratiques autorisées.
Le travail est dorénavant prescrit, souvent dans ses
moindres détails en raison de la recherche de la performance (adéquation temps
des professionnels / besoins priorisés de la personne). Il n’est plus demandé à
l’éducateur de concevoir son travail, mais d’appliquer des procédures
d’accompagnement. L’administration d’un établissement ou d’un service pour
personnes en situation de handicap fait fi des compétences professionnelles,
qui constituaient pourtant un cadre éthique de travail, qui se référaient à une
déontologie. L’exécution sans questions d’une tâche et l’hétéronomie sont ce
qui définit le statut de la prolétarisation. Dans le travail social, c’est
paradoxalement la situation actuelle, alors que les finalités par rapport aux
personnes concernées sont la recherche d’autodétermination et l’autonomie.
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