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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 18 mai 2022

Le validisme au détour de la pub

Le validisme au détour de la pub

La publicité n’est pas faite pour informer, mais pour convaincre d’acheter. Pour avoir de l’impact, elle s’appuie sur des envies, des objets valorisés, ou des valeurs communes ou originales, tout ceci souvent d’ailleurs créé ou diffusé par elle-même. Elle reflète aussi des représentations qu’elle ne cesse de valoriser, celles sur lesquelles il convient de surfer pour avoir une quelconque efficacité. Pour cela, elle n’hésite pas à présenter une réalité, une vision de la réalité affirmée en fait, cette vision étant choisie en fonction du but à atteindre. J’ai vu récemment une petite séquence vidéo publicitaire pour des prothèses auditives pour de jeunes bébés. On y voit un bébé, de quelques mois, dans les bras de sa mère, et pleurant beaucoup, agité. Une main étrangère lui triture l’oreille, sans que l’on sache à première vue de quoi il s’agit ; la main s’écartant, on constate qu’une prothèse à été posée sur l’oreille du bébé. A peine quelques secondes plus tard, le bébé cesse de pleurer, manifeste comme une curiosité et une physionomie éveillée ; quelques secondes plus tard, le bébé se met à sourire. Tout un chacun est à même de faire l’inférence : la prothèse auditive éveille et rend heureux le bébé sourd.

On touche ici les sommets d’une argumentation validiste, dans les supposés qu’induit la petite vidéo : sans audition, un petit bébé d’humain est malheureux, une fois la prothèse installée et l’audition rétablie, le bébé sourit  et est heureux, il accède aux caractéristiques d’un vrai bébé humain. En réalité, le film fonctionne sur une série de mensonges, soit volontaires, soit parce que la vidéo induit un texte caché sur une réalité choisie. Lorsque le bébé pleure, on ne peut conclure, en regardant le narratif de la vidéo, qu’une seule réalité : il pleure parce qu’il n’entend pas. Or un bébé qui est né sourd ne peut pas pleurer de ne pas entendre s’il n’a jamais entendu, ne sachant pas ce que c’est d’entendre : il ne peut pas se lamenter sur quelque chose qu’il ne connait pas, il ne peut pas faire l’expérience d’un manque qu’il n’a pas éprouvé. C’est socialement, dans des interactions de communication, qu’il va pouvoir découvrir qu’il n’a pas de capacités auditives. Peut-on imaginer des bébés pleurant en raison de leur incapacité à voler comme des oiseaux ?

Par ailleurs, la vidéo laisse se développer l’hypothèse que ne pas entendre rend malheureux ; que la surdité est la marque maudite d’une vie de moindre valeur, puisqu’elle est synonyme d’incomplétude de l’être humain idéal normal, qu’il s’agit d’une « vie minuscule » (C. Gardou). C’est une négation du principe de la diversité de l’humanité que le monde contemporain partage aujourd’hui dans le respect de l’égalité de valeur de tous les êtres humains : quelqu’un qui n’entend pas n’est pas de moindre valeur que quelqu’un qui entend. Et le miracle survient : dès l’audition retrouvée, le bébé est heureux. Cette séquence est étonnante : si la prothèse est mise en place pour la première fois, un bébé est incapable, sans « rééducation », de traiter cette nouvelle perception en lui donnant du sens, et y réagir par un sourire. Il m’est arrivé de voir l’inverse, des bébés littéralement effrayés par de telles nouvelles perceptions. Le plus vraisemblable est que ce bébé ait déjà fait l’expérience d’un prothèse. Mais ce qui est mis en avant ici, c’est le miracle de la prothèse : le bébé sourit, donnant du sens au nouveau monde qu’il perçoit. Il accède ainsi à la norme qui rend heureux, qui constitue le destin humain d’un petit humain d’être heureux. Le bébé redevient « complet », il redevient humain pour tout dire.

Cette publicité est exemplaire du modèle validiste à l’œuvre, dans les représentations de ce que sont des situations de handicap, et dans l’accompagnement de ces personnes. Ce que montre la vidéo, c’est en définitive que la norme, ici entendante, est l’idéal à atteindre et atteignable par les compensations appropriées. Hors de cette voie, la vie ne vaut pas d’être vécue, c’est une vie malheureuse. Et les personnes sourdes qui feraient le choix de ne pas utiliser de prothèses auditives seraient d’une certaine manière disqualifiées dans les registres de l’humanité : que vaudrait une spécificité sourde face au sourire d’un bébé qui ré-entend ?

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