Handicap et situations de handicap
On rencontre de plus en plus souvent, dans le discours médiatique ou dans les discours professionnels et de spécialistes, les termes de « situation de handicap ». Cela signifie-t-il que l’on a changé de modèle explicatif concernant les situations vécues par les « personnes handicapées » ? Que l’on est passé d’un modèle attribuant à la personne ayant telles ou telles caractéristiques de déficience, de troubles ou d’incapacités à un modèle situationnel qui explique la situation de handicap vécue par une personne par la rencontre entre ses propres caractéristiques et les caractéristiques de son environnement, rencontre ou interaction qui a des effets sur les situations et les habitudes de vie ? Ou bien la formulation en termes de « situation de handicap » ne fait-elle que remplacer, sans changement majeur ni de représentations ni de pratiques, la formulation en termes de « handicapé », terme qui lui-même avait remplacé, sans changements majeurs non plus, les termes de déficience et d’incapacités ?
A observer les usages qui sont fait de la terminologie de « situation
de handicap », on peut en effet mettre en doute le changement de
paradigme. En effet, on rencontre fréquemment cette terminologie accolée à des
qualificatifs de déficience ou d’incapacités : « situation de
handicap moteur, situation de handicap sensoriel ». Les qualificatifs en
question renvoient en effet aux caractéristiques individuelles au niveau
bio-psycho-médical, laissant de côté des facteurs environnementaux comme
éléments constitutifs d’une situation, celle de handicap en l’occurrence.
Si l’on essaie de définir ce qu’est un handicap dans une
perspective situationnelle (et non dans un descriptif de catégorisation d’une
population), on peut se tourner vers les définitions données soit par la
Convention des droits des personnes handicapées (ONU, 2006), soit par la
classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé
(OMS, 2001), soit encore par la classification du Processus de Production du
Handicap (RIPPH, 1998, 2018). Les trois définitions postulent d’une interaction
entre les caractéristiques d’une personne et les caractéristiques d’un
environnement, ces caractéristiques devenant ainsi des facteurs de restrictions
de participation et de situations de handicap dans diverses circonstances.
L’utilisation d’une formulation comme « situation de
handicap sensoriel » manifeste pour le moins une méconnaissance ou une
incompréhension de la notion de situation de handicap. Elle rabat sur les
seules caractéristiques corporelles et d’aptitudes l’explication de la situation.
Pour quelqu’un qui a une déficience sensorielle, la situation de handicap se
rencontre dans des situations de communication avec les autres, dans des
situations d’apprentissages scolaires, dans des situations de travail, etc. Les
caractéristiques sensorielles interviennent bien évidemment comme l’un des
facteurs de la situation de handicap. Mais l’utilisation d’une telle
formulation fait de la notion de situation un équivalent de la déficience ou de
la caractérisation « administrative » du handicap.
Elle manifeste en définitive la persistance d’une vision
défectologique des personnes handicapées. La norme valide reste la norme à
atteindre, et l’écart à la norme, observable dans une situation ou une habitude
de vie, tient encore et est attribuée aux caractéristiques
« imparfaites » (les aspects moteurs, les aspects sensoriels de la
personne) qui ne fonctionnent pas normalement dans des environnements qui ne
sont pas prévus pour s’adapter à ces fonctionnements particuliers.
Le langage a cette vertu de traduire les réalités, mais
aussi de pouvoir les masquer. Il apparait bien ici que l’utilisation d’une
formulation nouvelle, « situation de handicap », assortie de
qualificatifs concernant les fonctions corporelles, sert, de façon consciente
ou inconsciente, à masquer une absence de changement de modèle explicatif de ce
que sont les situations de handicap, à pérenniser de représentations
dévalorisantes des personnes concernées, à renforcer des approches validistes
des relations avec elles, interdisant toute perspective émancipatoire.
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