L'inclusion face à la dureté du monde
Il semble aller de soi que l’école ordinaire, le travail ordinaire, l’espace public pour tous, soient des institutions auxquelles doivent participer, de plein droit, les personnes en situation de handicap, les personnes vulnérables, et toutes les personnes qui ont pâti ou pâtissent des conditions de vie contemporaines. Les institutions spécialisées de l’éducation et de travail ont, à juste titre parfois, la réputation d’instaurer de la ségrégation, de faire du « séparatisme » pour employer un terme aujourd’hui popularisé pour désigner des phénomènes marginaux à cette problématique, et d’ignorer les droits fondamentaux des personnes à être avec les autres, comme tout un chacun.
Mais que faire d’une personne « détruite » par ses
expériences professionnelles (sur le plan physique ou sur le plan psychique,
des troubles musculosquelettiques au burn-out ou au harcèlement de la pression
au travail) et sans ressources face à la violence du marché de travail, dans
lequel l’activation de la traversée de la rue n’est pas en mesure de régler le
problème ? Que faire d’un élève subissant la violence d’un système
scolaire de concurrence et de sélection à l’école, au collège ou au lycée,
l’excluant de fait d’un parcours de scolarisation où il faut « avoir le
niveau » et être excellent, ou encore être adéquat à la norme de l’ordre
scolaire, le condamnant à des voies sans issues, à côté des voies royales de
ceux qui réussissent au regard des exigences « méritocratiques » de
l’école ?
Le discours inclusif, tout à fait justifié sur les plans
éthique et politique, se heurte violemment aux réalités des mondes scolaire et
du travail, que méconnaissent absolument les décideurs, qu’ils fassent partie
de la haute administration « pensante » ou des prescripteurs de
réponses à ces problématiques (dont les médecins par exemple pour le travail).
Le travail, celui qui fait souffrir et détruit les personnes, est ignoré,
parfois idyllisé, dans ses conditions d’exercice et dans sa réalité.
C’est peut-être pour ces raisons qu’un nombre relativement
important de personnes dites valides, mais détruites par leurs expériences
professionnelles, en viennent à envisager d’intégrer le milieu professionnel
protégé et les institutions spécialisées comme une solution à leurs
problématiques de vie, comme une mise à l’abri de la violence sociale du monde
du travail en quelque sorte. C’est peut-être aussi pour ces mêmes raisons que
les demandes d’orientation vers des institutions éducatives spécialisées
perdurent (d’où le manque de place et les listes d’attente) conjointement à une
forte demande de développement de l’inclusion dans une école qui en dépit de
son affichage inclusif est bien encore un lieu de séparatisme qui se pérennise,
voire se développe.
Dans ces conditions et ces contextes environnementaux de
monde du travail et de l’école, l’appel et les injonctions à l’inclusion de la
part des politiques publiques, par-delà leur légitimité éthique, relèvent bien
souvent d’une référence morale en lieu et place d’un choix politique. La morale
prend ici le relais des anciennes charité, bienfaisance et assistance,
substituant à la protection condescendante de la personne sa normalisation
individuelle dans une société idéale. Le choix politique serait d’agir sur l’écosystème
produisant des situations de souffrance, de vulnérabilité, de handicap, et de
ne seulement considérer les situations en question comme des effets sociaux de
problèmes individuels. Dans la perspective d’une telle intervention dans un
écosystème, ce n’est pas la personne seule qui est en cause, et il ne suffit
pas d’activer une politique vers le milieu ordinaire en rendant les personnes
adéquates à cet environnement ; il faut aussi, et de manière tout aussi
importante, modifier l’environnement qui entre en conflit avec la personne, le
rendre adéquat aux personnes.
Modifier les conditions de travail, les exigences des
employeurs, le stress au travail, les conditions de scolarisation, la sélection
et la reproduction scolaire : utopie ou condition impérative pour parler
d’inclusion sans hypocrisie ?
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