Handicap : besoins éducatifs ou besoins de santé?
Chez les professionnels comme dans les médias, l’inclusion est souvent considérée comme le résultat d’une série d’aménagements techniques au bénéfice des personnes en situation de handicap, et plus rarement comme une philosophie, comme changement de paradigme de pensée et de représentations sur les personnes en situation de handicap. Ici une rééducation de compensation, là un aménagement de l’environnement, ou encore une application mobile pour faciliter la vie… Et ainsi, à force d’améliorer les petits détails de la vie, les facteurs de l’exclusion et de la ségrégation envers les personnes en situation de handicap s’atténueraient, jusqu’à peut-être disparaitre.
Mais alors, pourquoi le processus inclusif (le projet
inclusif, l’idéal inclusif) se heurte-t-il à une muraille de verre avec le
constat que les choses ne changent pas fondamentalement ? On ne peut nier
que les choses ont quand même changé. Dans le champ scolaire, l’absence manifeste
des élèves en situation de handicap il y a quelques décennies a été remplacé
par une présence significative, qui laisse toutefois un grand nombre d’enfants
en dehors du processus, soit en raison du manque d’accompagnement (la réforme
de l’organisation des AESH, accompagnants des élèves en situation de handicap,
a eu des effets de régression), soit parce qu’il existe encore des institutions
spécialisées pour nombre d’entre eux. Malgré des progrès quantitatifs,
demeurent des pratiques sociales et culturelles, une idéologie et une
philosophie non inclusives, qui font obstacle à un changement véritablement
inclusif de la société.
L’un de ces obstacles philosophiques réside dans la
conception qu’une société, la nôtre, se fait du handicap, et par exemple des
élèves en situation de handicap à l’école. Notre approche en termes de place de
l’élève en situation de handicap à l’école est encore centrée sur les besoins
de santé, engendrés par la déficience, les troubles ou les incapacités,
labellisés en quelque sorte comme définissant en priorité cet élève : un
élève en situation de handicap est un élève qui a des besoins de soins. Dès
lors qu’un enfant handicapé arrive à l’école, la médecine scolaire (ou du moins
ce qu’il en reste) est mobilisée, garante du cadre de scolarisation, faisant
suite aux dispositions et droits accordés par la MDPH, là encore sous la
primauté d’un médecin avec le guide-barème. Même lorsqu’il n’y a pas
« handicap » statué, comme pour les enfants présentant des troubles
des apprentissages, il y a un diagnostic médical présent, avec des indications
éducatives et pédagogiques. L’institution scolaire se soumet en quelque sorte à
des indications médicales pour les réponses à des besoins de pédagogie et
d’éducation, définis et qualifiés de besoins de soins, jusqu’aux choix par
exemples des méthodes de lecture. Les réponses et indications paramédicales
(orthophonie, ergothérapie, suivi psychologique…) sont des éléments de
confirmation de la nature médicale du problème.
Cette approche, dominante, s’oppose à une approche plus
sociale, plus « universelle », qui considère que tout enfant, ayant
une déficience corporelle ou des difficultés sociales, ou ni l’une ni les
autres, est un élève qui a des besoins éducatifs, communs à tous ou particuliers
pour certains, auquel le système éducatif doit répondre. Les enfants qui ont le
statut de handicapé ont des besoins particuliers dont la nature est éducative
avant d’être de santé, comme des enfants ne maitrisant pas la langue ou avec
des difficultés issues de facteurs sociaux. Pas plus les uns que les autres ne
relèvent de réponses à des besoins de santé ou sanitaires.
La question serait plutôt celle de la gestion des réponses à
l’ensemble des besoins. A l’heure actuelle, il est illusoire de penser que le
système éducatif a les moyens de satisfaire à cette exigence, en raison de la
nature du système éducatif. Et par conséquent, ce sont les catégories de
réponses à des besoins de santé qui apparaissent comme les plus valides. Mais
un tel positionnement constitue une muraille de verre au développement du
projet inclusif, en confondant en définitive déficience et handicap.
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