Enfin sortir du modèle médical ?
La compréhension et l’appréhension des situations de vie des personnes en situation de handicap semblent s’être libérées des approches médicales qui les enfermaient antérieurement dans des situations défectologiques et marginales. La qualification de déficients et d’inadaptés a laissé place à la qualification de handicap et de situations de handicap. Les critères d’incapacités ont été remplacés par des critères de droits, progressivement étendus à égalité pour tous. L’autonomie et l’autodétermination ont suppléé les caractéristiques passive du patient, devenu usager dans le secteur médico-social. De ce point de vue, les personnes en situation de handicap se sont émancipées de leur caractéristique sociale d’objet de soins.
Dans le même temps, la définition de la notion de santé a
changé. D’une caractérisation initiale d’absence de maladie, la définition est
devenue, avec l’Organisation Mondiale de la Santé en 1948, la caractérisation
« d’un état de complet bien-être, physique, mental et social, et ne consiste
pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Dans cette double évolution, celle de l’approche du handicap
et celle de la santé, se trouve un paradoxe, dans lequel se débattent les
pensées, les actions et les représentations concernant les personnes en
situation de handicap. Entre l’émancipation d’une caractérisation
essentiellement médicale et l’extension du domaine de la santé dans lequel
s’inscrit l’approche médicale contemporaine, comment peut être conçu le
handicap et appréhendées les personnes en situation de handicap ?
Le handicap, dès lors qu’il s’agit d’un statut à attribuer
pour obtenir des droits, reste attaché à une entrée obligatoire, celle de la
déficience et des incapacités, inscrites dans un guide-barême. Dans les
accompagnements, la notion de traitement est encore très présente, et les
aspects médicaux demeurent des indications souvent impératives, non seulement
dans le domaine du soin, mais également dans le domaine de l’éducation, du
travail, des modes de vie. (C’est ainsi que la plupart des médecins ORL
préconisent par exemple une éducation orale ave la pose d’implants cochléaires,
ignorant ou niant les droits à une autre langue). Les difficultés dans
différents domaines d’apprentissage comme la lecture, l’orthographe, les mathématiques,
etc…, sont aujourd’hui médicalisées en DYS…, caractérisées dans le domaine du
handicap sous un label médical, et confiées à des traitements dans le registre
paramédical. Et, last but not least, depuis 2009 et la loi HPST, les structures
du secteur médico-social sont sous la responsabilité des Agences régionales de
santé (ARS). Le handicap reste donc bien encore sous la conduite du
« médical ».
Cela correspond d’ailleurs aux évolutions du paradigme de la
santé et de la médecine. Celles-ci recouvrent en effet aujourd’hui tous les
domaines de la vie : les représentants de la médecine sont là pour œuvrer
à la satisfaction de tous les besoins des personnes : sur le plan
sanitaire évidemment, mais aussi sur les plans social, nutritionnel, affectif,
etc… Il n’est que de regarder la place des indications médicales aujourd’hui
dans les indications sur les modes de vie, les états mentaux (de la profonde
souffrance psychique à la souffrance existentielle diffuse ou à la recherche du
bonheur), les normes développementales (tout écart à la norme deviendrait
pathologie). Des états humains comme la tristesse, ou des modalités de vie
comme la neuroatypicité, deviennent l’objet de l’intervention médicale. Et que
dire de la place de la médecine dans la crise sociale de la pandémie de la
COVID-19 ?
La médicalisation de la société à partir du champ
d’application de la santé n’est peut-être pas l’émancipation souhaitée. Le
pouvoir médical, comme le nommait M Foucault, étend ses rets dans tous les
interstices de la vie humaine, et il n’est pas sûr que, dans ces conditions,
les personnes en situation de handicap puissent faire valoir leurs droits
humains. Là où l’on veut mettre en avant les droits du citoyen, c’est encore le
patient, dans une définition certes élargie, qui prévaut.
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