Handicap, désinstitutionnalisation et exclusion
Dans le secteur médico-social, et particulièrement concernant les personnes en situation de handicap, la désinstitutionnalisation est présentée comme un objectif politique et sociétal, objet d’espoir pour les personnes concernées et pour un certain nombre de professionnels, et objet de craintes pour d’autres. Elle signifie de fait la fin des institutions spécialisées telles qu’elles ont fonctionné jusqu’à une date récente, avec l’image d’espaces clos dédiés à des populations qui étaient exclues du champ ordinaire, et dans lesquelles la vie sociale était hors de monde (et aussi hors du droit parfois).
La désinstitutionnalisation débouche, comme par un jeu de
vases communicants, sur l’inclusion dans la société, dans l’école, le travail
ou l’espace public. Cette évolution est fondée sur deux postulats. Le premier
postulat est celui de l’égalité des droits de tous, et par conséquent l’accès
aux droits de tous aux personnes en situation de handicap : droits à la
santé, à l’école, au travail, à l’espace public, etc… C’est le postulat que
l’on retrouve dans la convention des Nations unies sur les droits des personnes
handicapées et dans les critiques faites à la France pour l’insatisfaisante
application de cette convention : « il n’existe pas de bon
établissement d’accueil » dit un rapport de 2019. Selon ce postulat, les
personnes en situation de handicap devraient pouvoir participer aux différentes
modalités de vie de la population d’une société donnée, celle-ci se devant de
s’adapter aux conditions particulières de certaines modalités de vie.
Le second postulat concerne la représentation que l’on se
fait de la personne humaine, qui s’organisent à travers une idéologie. Cette
idéologie définit aujourd’hui les caractéristiques humaines comme étant celle
d’un individu, libre, autonome, responsable, moral, indépendant,
« abstrait » de toute sociabilité instituée. De ce point de vue, la désinstitutionnalisation
n’apparait que sur son aspect libératoire, émancipatrice des institutions
spécialisées qui oppriment la personne, la rendent prisonnière d’un mode de vie
institutionnel, lui dénie ses droits d’individu.
Dans ce double postulat, la désinstitutionnalisation et
l’inclusion oublient d’activer la réinstitutionnalisation des personnes dans
les institutions de la vie ordinaire (l’école, le travail, la santé, l’espace
public…). La question qui devrait se poser est celle de la nature et du
fonctionnement de ces institutions ordinaires à l’égard des personnes désinstitutionnalisées
des institutions spécialisées. Certes de nombreux philosophes et sociologues
ont observé que ces mêmes institutions se désinstitutionnalisent elles-mêmes,
opérant une sorte de dé-liaison dans l’existence des membres de la
société : l’école n’est plus l’institution sacrée de la construction
républicaine et des savoirs, le travail n’est plus la référence absolue d’une
vie réussie, et se désocialise dans de nouvelles formes d’activités.
Mais ces institutions demeurent des espaces de liaisons
entre individus. Même s’il vaut mieux y faire preuve des qualités attribuées à
cet individu abstrait. L’élève qui fait preuve de ces qualités est celui qui
réussit ; les entreprises sélectionnent les plus aptes, compétitifs et
rentables, les plus « agiles ». Ce faisant, ce sont les plus faibles,
les plus fragiles, les plus vulnérables, qui passent en marge de ces
institutions. Faute de transformation des conditions d’accueil dans les
institutions ordinaires, les prétendants à une vie ordinaire satisfaisante (les
personnes en situation de handicap désinstitutionnalisées, mais aussi de
nombreuses autres personnes fragiles et vulnérables, les sans domicile, les
sans travail, les sans ressources) sont dramatiquement désinstitutionnalisées,
ou comme le dit R Castel, désaffiliées. Les désinstitutionnalisations
envisagées aujourd’hui le sont, la plupart du temps, dans les conditions
actuelles des fonctionnements sociaux, sur le postulat que tous les individus,
même les plus fragiles, puissent fonctionner, agir, réagir et se comporter
comme des sujets pleinement autonomes, les institutions ordinaires exigeant en
effet que tous se conforment à cette définition contemporaine de l’individu.
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