Alexandre, un élève qui "pose des problèmes"
Alexandre est un jeune garçon sourd « qui pose des problèmes ». Il a effectué toute sa scolarité élémentaire en CLIS (Classes pour l’Inclusion scolaire, aujourd’hui ULIS). Il n’a pas pu bénéficier d’une langue des signes efficace ; son niveau de compétences en langue orale (réception et expression) est faible. Ses compétences scolaires à 12 ans sont plutôt équivalentes à celles d’un élève de CE1 (7-8 ans). Aujourd’hui, à 14 ans, il poursuit sa scolarité dans une unité d’enseignement d’un « établissement pour déficients sensoriels » au sein d’un collège, dans un dispositif de classe spécialisée. Il est toutefois inclus dans une classe de 5ième du collège en Education physique et sportive et en Arts Plastiques, accompagné par un interface en langue des signes.
Dans les temps où il se trouve en classe spécialisée pour
jeunes sourds, avec quatre ou cinq autres élèves sourds, eux aussi rencontrant
des difficultés scolaires d’apprentissage, Alexandre « est infernal »
aux dires de quasiment tous ses enseignants. Effectivement, c’est un élève qui
résiste au fonctionnement scolaire : refus de travail, travail du soir non
fait, leçons non sues, inattention permanente en cours, et même parfois
répliques violentes lorsqu’il lui est fait des remarques sur son comportement.
Bref un comportement d’un jeune que l’on pouvait caractériser comme
« caractériel », manifestant des attitudes anti-scolaires typiques,
celui que des enseignants ne veulent pas en classe, dont parfois ils ont peur.
Mais dans cette situation, sans autre solution, puisqu’Alexandre est déjà dans
une classe spécialisée.
Paradoxalement, lorsqu’il est inclus dans la classe de 5ième,
accompagné par un interface en langue des signes, Alexandre devient un autre.
Non pas qu’il brille particulièrement dans ces disciplines (il a même quelques
difficultés en EPS en raison de sa corpulence), mais il a un comportement
d’élève : pas de résistance manifeste, participation aux cours, et même application
dans les tâches (note l’enseignante d’arts plastiques).
Quelques moins auparavant, il s’était agi de définir le
projet personnalisé de scolarisation d’Alexandre. L’une des questions qui se
posait était de poursuivre, ou non, ces temps d’inclusion. Au regard de la
manière dont les choses se passaient dans ces deux disciplines, il
n’apparaissait pas de contre-indication à la poursuite de ce parcours.
N’étaient les vives objections des enseignants spécialisés, ceux de la classe
spécialisée, qui au regard de ce qui se passait dans leurs propres cours, ne
pouvaient se représenter que cela se passe ainsi dans les temps d’inclusion.
Ceux-ci étaient prêts, non à développer et expérimenter quelques temps
supplémentaires d’inclusion dans d’autres disciplines comme cela aurait pu se
concevoir à partir de l’expérience scolaire observée, mais à préconiser une
autre orientation, s’il en existait, vers des dispositifs encore plus
spécialisés, pour enfants sourds en difficultés scolaires et avec des troubles
du comportement.
Comment expliquer cette situation paradoxale ? Il y a
certainement de multiples facteurs explicatifs, mais parmi ceux-ci, on peut
évoquer le facteur négatif du dispositif spécialisé : c’est bien celui-ci
qui, pour de raisons que les spécialistes ne maîtrisent pas, produit un effet
de résistance. Refus du handicap ? Refus de la ségrégation ? Refus
d’être en échec ? Refus d’être avec des semblables ? Nous
l’ignorions. Toujours est-il que les « symptômes » de résistance
« disparaissaient » dans l’environnement ordinaire, malgré l’écart
avec les compétences maitrisées par les autres élèves.
De là à dire que l’inclusion « guérit » des
symptômes d’une stigmatisation instituée par un dispositif spécialisé, il y a
un fossé que je me garderai de franchir. Mais peut-être que la valorisation
d’un rôle social d’élève, dans un fonctionnement ordinaire d’élève,
favorise-t-elle une certaine participation sociale qu’un dispositif spécialisés
fait vivre comme dévalorisation des rôles sociaux.
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