Sans solidarités, pas d'inclusion
On ne peut juger de la qualité de l’inclusion des personnes en situation de handicap sans observer et qualifier l’environnement incluant, et ainsi qualifier la société d’inclusive, ou non. Or il existe des fonctionnements sociétaux qui semblent constituer des obstacles, peut-être rédhibitoires, à des avancées vers une société inclusive. Ces fonctionnements sont constitués d’organisations, mais aussi de mentalités et de représentations. Ainsi l’individualisme, sous l’égide duquel se présentent certaines conceptions de l’inclusion, rognant les principes de la solidarité et les approches collectives, pourrait-il être en définitive un obstacle à l’inclusion à laquelle il prétend aboutir : poussé dans sa logique extrême, il pourrait aboutir, à rebours d’une inclusion, à une désaffiliation et une atomisation sociales.
Pour appréhender les risques d’une telle disposition, rien
de tel que d’observer ce qui se passe dans des pays qui sont
« avancés » dans un tel fonctionnement. Un article du Monde
Diplomatique (Au pays du « jiko sekinin », de Yuta Yagishita,
mai 2020, p.7) décrit les effets sociaux, politiques et philosophiques d’une
telle idéologie sur la prise en compte des plus vulnérables dans la société.
L’auteur place l’individualisme comme l’un des marqueurs anthropologiques
historiques du Japon. Il se manifeste aujourd’hui dans la formule « jiko
sekinin », version nipponne de « c’est votre faute ou votre
responsabilité », qui inspire l’idéologie et les politiques publiques
au Japon. Ce discours « est né avec le néolibéralisme et l’aggravation
des inégalités au cours de ces trente dernières années ». Le discours
imprègne aujourd’hui toute la « pensée sociale, « le mot accuse
tour à tour les personnes marginalisées, - mères célibataires ,sans domicile
fixe, patients atteints de maladies liées au mode de vie (obésité, cancer du
poumon…), ou encore victimes de violences sexuelles. »
Dans ce contexte de pensée, le mérite de faire partie de la
société revient à celui qui fait ou qui a fait les efforts suffisants pour être
inclus. Et inversement, la légitimité de l’exclusion se pose pour celui qui n’a
pas fait ces efforts. Citant un économiste, l’auteur indique les présupposés de
cette approche : l’idée est de créer « une société compétitive,
saine et créative, fondée sur les responsabilités individuelles et les efforts
pour sa propre réussite ». Dans ce cadre, la solidarité n’a pas sa
place, car l’absence de réussite et les difficultés d’inclusion sont imputables
à l’individu. « Le jiko sekinin permet d’annuler le sentiment de
culpabilité vis-à-vis de l’aggravation des inégalités », et légitime
l’érosion des dépenses sociales.
Et les situations de handicap ? Par proximité avec les
situations de vulnérabilité, elles relèvent aussi progressivement de cette
attribution. En particulier pour les situations de handicap dont la cause peut
être attribuée à des facteurs individuels. Ainsi le diabète, qui peut entrainer
des situations de handicap importantes lorsque certaines habitudes de vie ne
peuvent se réaliser, devient-il imputable à la personne (c’est de sa faute, il
aurait dû faire plus d’efforts afin de se maintenir en bonne santé), en
excluant comme facteur le mode de vie « imposé » par la société
(malbouffe, surconsommation…). Et à ce titre, le diabète ne serait pas reconnu
comme faisant partie de la « solidarité ».
Il s’agit là du Japon. Mais en France aussi, cette tendance
existe. L’emblématique réforme des retraites privilégiant la contribution
individuelle de la capitalisation à la solidarité de la répartition participe
de cette individualisation sociale à marche forcée, remplaçant la solidarité de
l’organisation publique par l’initiative de fonds privés afin d’atténuer les
effets désastreux des politiques néolibérales. Depuis une vingtaine d’années,
on demande aux personnes handicapées une activation afin de
« mériter » leurs droits. L’inclusion est en définitive soumise à
conditions relevant de l’engagement individuel, et non plus par principe de
solidarité.
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