Protection et autonomie
La notion de protection a été à l’origine (une des origines) des politiques sociales. Sa mise en œuvre politique a permis de réduire la misère, l’extrême pauvreté, le « paupérisme », les situations de vulnérabilité qui ont été pendant longtemps le quotidien d’une majorité de la population. Elle a été aussi à l’origine plus spécifiquement de la préoccupation des personnes dont on dit aujourd’hui qu’elles sont en situations de handicap. Mais la notion de protection s’est aussi accompagnée de limites, réduisant les personnes concernées à être des bénéficiaires de charité ou de bienfaisance, d’assistance, les plaçant en état de dépendance et d’infériorité et « hors du monde ». Avec l’émergence de la notion « d’ayant droit » et de celle de droits, en particulier récemment par exemple avec ceux formalisés par la convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, la notion de protection est interrogée par les notions d’autonomie et d’émancipation.
La protection aujourd’hui a mauvaise presse : les
« assistés » font l’objet de vives critiques portant leurs supposées
caractéristiques. Par ailleurs la notion de protection est rattachée, à juste
titre, au déni de droits qui s’est perpétué dans de nombreuses institutions
pour personnes handicapées ou dépendantes, et qui n’ont pas encore toutes fait
leur révolution à ce niveau. Pour un certain nombre de personnes critiquant
cette situation de fait, l’autonomie passe par la mise au rebut de la notion de
protection, obstacle à l’autonomie. L’autonomie, dans une conception dominante
aujourd’hui, se conçoit de manière exclusivement individuelle, comme
l’auto-réalisation de l’individu conçu comme plein possesseur de ses moyens (il
n’est que de voir la place que prennent le développement personnel,
l’épanouissement ou la recherche du bonheur dans tous les segments de la
société), sans prendre en compte les environnements dans lesquels elle peut se
mettre en place et s’exercer, sans se situer dans les contraintes sociales dans
lesquelles se trouve l’individu et en ignorant les interdépendances qui
caractérisent tout fait humain.
On comprend que dans ce contexte idéologique, la protection
des personnes apparait comme un obstacle à leur liberté, à leur épanouissement,
à leur développement, à leur contribution attendue à la société et à leur
insertion dans les institutions de la vie ordinaire (école, travail, espace
public) : la protection vaut, pour les personnes concernées,
déresponsabillisation, absence d’engagement, passivité, soumission, etc. Ce
sont ceux « qui en profitent » sans contrepartie personnelle.
Lorsque l’espace social est inégalitaire, dans les places
plus encore que dans les droits, lorsqu’il se préoccupe de l’obtention des
places des individus dans un esprit d’autonomies concurrentes, en ignorant les
dépendances et interdépendances, cet espace social laisse en réalité (et met)
de nombreuses personnes en situation de vulnérabilité, de précarité, dans des
incertitudes rendant impossible toute tentative d’autonomisation (l’incertitude
du risque, ou de la sortie de la zone de confort, n’est positive que dans des
conditions de sécurité), dans la culpabilisation concernant sa propre situation
de vulnérabilité.
Lorsque l’autonomie, ou l’exigence de l’autonomie préalable,
devient une norme ou une qualité requise pour bénéficier de droits (on le voit
davantage aujourd’hui dans le domaine social ou de la famille, pas encore
complètement dans le domaine du handicap), lorsqu’elle devient un critère moral
et contraignant pour l’exercice des droits et l’obtention d’aides, la
vulnérabilité requérant de la protection n’a plus d’existence légitime. Elle
devient la conséquence d’une attitude individuelle d’absence d’autonomie. Dans
ces conditions, les inégalités s’aggravent, les personnes se sentent coupables,
les politiques publiques se défaussent sur les responsabilités individuelles,
délaissant les plus vulnérables et moins autonomes. L’autonomie sans
préoccupation de protection, renforce la vulnérabilité en devenant une
contrainte morale à laquelle il convient de se conformer.
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