A contre-culture de l'inclusion
L’inclusion semble être une évidence politique et sociale. Elle est prônée par les pouvoirs publics comme étant un projet politique et éthique fort et incontournable, parfois aves des stratégies d’occupation du terrain et à coups de plateformes téléphoniques et numéros verts, ou à coups de mise en réseaux organisationnels et professionnels qui ignorent, voire masquent, des réalités de terrain qui sont loin d’être inclusives, quand ce ne pas pour se dispenser d’une mise en œuvre véritablement inclusive. Poser l’inclusion comme déjà là, ou comme véritablement en cours et en progression significative, c’est aussi faire fi des conditions d’avancée de cet idéal inclusif dans les réalités des diverses institutions sociales pour tous. Car l’horizon inclusif n’est pas réduit à une scolarisation satisfaisante d’enfants en situation de handicap ou à l’emploi de « travailleurs handicapés », mais il définit un enjeu politique et sociétal.
L’opposition entre promoteurs et résistants au projet
inclusif n’est pourtant pas si nette, entre projet et réalités. Cette société,
la nôtre, est remplie de valeurs dont certaines sont favorables à une
progression vers une société inclusive, mais dont d’autres sont clairement à
rebours de l’idéal inclusif. Et ces valeurs appartiennent autant aux promoteurs
qu’aux résistants. La société est dans une recherche permanente d’équilibre
entre des valeurs contradictoires. Dans un entretien accordé à la revue Empan
(n°117, mars 2020), Charles Gardou indique que la notion de société inclusive
« apparait en quelque sorte à contre-culture, telle une idée ronde dans
un monde carré ».
Il décline cette idée des divergences de valeurs, de
postures, de mentalités, par cinq oppositions de qualification de temps. (1) « Nous
vivons un temps contradictoire qui prône l’égalité mais hiérarchise les vies,
jugeant leur rentabilité ». Entre l’égalité formelle des droits
affirmée dans tous les textes, et les situations humaines de fait, il y a bien
des contradictions. Les inégalités croissantes sont admises et permises, qui
vont de l’extrême pauvreté aux plus grandes fortunes ; le mépris des
« élites » envers « ceux qui ne sont rien » s’affiche
politiquement sans vergogne ; certaines personnes ont moins valu que d’autres
dans les choix qui ont dû être faits lors de la pandémie COVID-19. Prôner
l’égalité des droits dans le cadre de l’inclusion est incompatible avec le
renforcement de ces valeurs.
(2) « C’est aussi un temps paradoxal qui affirme
respecter la fragilité et, en même temps, la marginalise, se perdant dans des
idéaux de puissance et la « tentation de l’illimité ». L’homme
(plutôt que la femme) compétitif, fort, beau, agile, adapté devient la norme à
atteindre, rejetant dans les marges les « inadaptés » (on revient ici
au vocabulaire qui avait cours au milieu du XXe siècle !). La diversité
des situations de vie (maladies, déficiences, handicaps, vieillesse) et la
diversité des caractéristiques humaines, pour peu que celles-ci dérogent aux
valeurs et normes dominantes, sont pathologisées et vouées à être
« guéries », dans la perspective d’une illusoire perfection humaine.
(3) « C’est également un temps ambivalent, où l’on
parle abondamment d’accompagnement humain tandis que les plus vulnérables, dont
les personnes en situation de handicap, vivent souvent avec un sentiment de
délaissement, de mise à l’écart, de désaffiliation et d’insécurité dans une
société qui se veut de plus en plus sécurisée ». Un certain nombre de
choix sociétaux et politiques accroissent la vulnérabilité, et interdiraient de
prétendre à la prétention inclusive. (4) « C’est un temps qu’on peut
qualifier de désarmant, un temps qui se veut indépendant d’esprit mais
s’assujettit à des normes souveraines ». Les singularités revendiquées
dans le projet politique libéral sont démenties par les barrières des normes
implicites exigées. (5) « C’est enfin un temps indécis qui dit faire
place à la diversité, mais ceux qui par leur mode d’être-au-monde, n’entrent
pas dans les cadres usuels de reconnaissance se voient plus ou moins exclus de
la photographie de famille. »
Le projet inclusif se trouve bien inséré dans des valeurs contradictoires, dont certaines constituent des obstacles majeurs à son inscription dans les évolutions de la société.
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