Des dispositifs d'inclusion pour enfants polyhandicapés
Il y a encore peu de temps, s’autoriser à penser que peut-être un jour des élèves gravement handicapés, par exemple ceux qui sont qualifiés sous la catégorie de polyhandicapés, puissent être présents à l’école ordinaire relevait d’un rêve impossible. L’intégration ou l’inclusion d’élèves avec des situations de handicap beaucoup moins problématiques semblait déjà bien difficile et se heurtait à des résistances fortes, et perdait sa légitimité à mesure que les enfants concernés étaient éloignés de la norme scolaire : on voulait bien intégrer, mais ceux qui n’étaient quand même pas trop différents ! Dans ce paradigme de pensée et d’action, il était inconcevable, au sens fort de ce terme, que des jeunes ayant un polyhandicap puissent un jour être présents dans un établissement scolaire pour y faire leurs apprentissages.
Il y a une vingtaine d’années, dans un mouvement de
délocalisation de classes élémentaires d’élèves sourds vers des écoles
ordinaires, nous nous étions heurté à un mur infranchissable, chez les professionnels
spécialisés comme chez les enseignants de l’école, dès lors qu’il fut envisagé
de délocaliser une classe regroupant quelques enfants sourds « avec
handicaps associés », ceux-ci consistant pour l’essentiel en des
difficultés importantes d’apprentissage associées à quelques comportements
problématiques. Alors, pour des enfants polyhandicapés … ! L’impossibilité
conceptuelle d’inclure cette catégorie d’enfants servait même couramment
d’argument définitif pour démontrer les limites d’une inclusion inaccessible.
Et voilà qu’en cette rentrée 2020 nous est faite l’annonce
de l’inclusion d’enfants polyhandicapés à l’école. Devant une telle
déclaration, il y a certes quelques raisons de se méfier de politiques
publiques qui s’attachent davantage à afficher des intentions qu’à
véritablement agir. Et selon le cahier des charges établi dans une circulaire
qui doit être incessamment publiée, il ne s’agit nullement d’une inclusion
envisagée comme une adaptation de l’école à ce public particulier : il s’agit
en effet de l’externalisation d’unités d’enseignement d’établissements
médico-sociaux, rendant effective la présence de ces enfants dans le milieu
ordinaire de l’école. Ils ne sont pas prêts d’être inscrit à l’école de
tous ! De plus l’annonce en fanfare d’une telle mesure ne témoigne en
définitive que de l’existence de tels dispositifs qui se comptent aujourd’hui
sur les doigts d’une seule main. Enfin, rien n’indique que des moyens
permettant de telles réalisations suivent.
Mais voilà, malgré ces immenses réserves sur ce qui peut se
passer, les choses ont été dites et actées : il devient concevable que des
enfants polyhandicapés soient présents dans l’école, dans des dispositifs qui
puissent combiner leurs besoins de soins et leurs besoins ou droits d’apprentissages
scolaires. Affirmer le droit d’une catégorie de population, dont les écarts
avec la population scolarisée (ceux qui sont qualifiés de valides et ceux qui
sont qualifiés de handicapés) sont importants, à être elle-même scolarisée avec
les autres est décisif sur le plan symbolique. C’est l’affirmation que, comme
le dit Charles Gardou, « il n’y pas de vie minuscule ». C’est
l’affirmation du principe que chacun a de la valeur, et qu’à ce titre, il
mérite d’être avec tous les autres.
Cette affirmation fait en quelque sorte rupture avec ce qui
se passait. Avec l’intégration, seuls méritaient d’être présents à l’école les
enfants que leur handicap ne différenciait pas trop de la norme. Avec
l’inclusion, l’accueil est devenu plus large, plus universel, tout en mettant
des limites, le plus souvent inconscientes, pour les enfants trop éloignés des
normes. Avec « l’inclusion », certes particulière, des enfants
polyhandicapés, la frontière des possibilités tombe symboliquement. Les normes
s’élargissent, désormais ces enfants ont le droit de faire partie de notre
monde. C’est un pas, à reconnaitre comme modeste et fragile, vers l’école et la
société inclusives.
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