Handicap et situations de handicap
Dans le langage courant, et même dans le langage professionnel, les termes handicap et situation(s) de handicap sont utilisés la plupart du temps indifféremment, comme s’ils avaient la même signification : « tout ça c’est pareil ». Mais cette confusion est extrêmement préjudiciable, à la fois sur le regard porté sur les personnes concernées, et à la fois sur les dispositifs d’accompagnement et sur leurs missions. Utiliser indifféremment ces termes n’est pas du tout anodin, et il importe pour tous de dissiper les confusions.
On peut le faire facilement à partir d’un exemple, celui
d’un bébé qui nait sourd de parents sourds. Son audition est déficiente si on
la compare à celle de la quasi-totalité des bébés. Est-il en situation de
handicap ? Dans sa famille les relations interpersonnelles et la
communication se déroulent normalement, en qualité et en quantité, entre les
parents et l’enfant, sans particularité aucune relativement au développement d’un
petit bébé. En quoi serait-il particulier en effet d’utiliser une voie visuelle
de communication (la langue des signes) plutôt qu’une voie vocale (le français
parlé ou le wolof parlé) ? Dans son strict milieu familial par conséquent,
il ne rencontre aucunement de situation de handicap. Est-il handicapé ou a-t-il
un handicap ? Si l’on répond par l’affirmative à cette question, on va
considérer que c’est la déficience auditive qui est constitutive exclusivement
du handicap, que celui-ci est dû à la déficience auditive et à ses conséquences
au niveau des aptitudes (incapacité à entendre et à parler oralement, et autres
incapacités supposées dépendre de la déficience auditive). Il est paradoxal
d’affirmer ici que ce bébé est handicapé et qu’il ne rencontre aucune situation
de handicap.
Imaginons maintenant des parents sourds donnant naissance à
un bébé qui a une audition dite normale. Celui-ci est-il en situation de
handicap ? Pour lui, l’expérience l’atteste, apprendre la vie par une
langue signée ou vocalisée, revient au même et relève des mêmes modalités. S’il
va ensuite à la crèche puis à l’école, cet enfant se développera avec deux
langues, l’une signée à la maison, l’autre vocalisée dans les institutions de
la vie ordinaire. Il ne sera ni « handicapé », ni en « situation
de handicap ». Pour qu’il soit en situation de handicap, même « sans
handicap », il faudrait qu’il soit empêché d’apprendre à parler oralement
et par conséquent que les institutions ordinaires ne lui soient pas adaptées.
Pour le premier bébé (sourd né de parents sourds), il ne se
trouvera en situations de handicap que lorsqu’il sortira de sa famille sourde,
pour aller à la crèche ou à l’école. Lui ne changera pas, il aura toujours les
mêmes caractéristiques, mais il sera en situation de handicap dans certaines
circonstances, en raison d’un environnement qui ne sera pas en mesure de
communiquer avec lui et de répondre à ses besoins. Mais il continuera de n’être
pas en situation de handicap dans sa famille. Les deux affirmations (être handicapé
et être en situation de handicap) ne sont vraies simultanément que lorsque
l’enfant aura « acquis » le statut social de handicapé.
Dire de cet enfant : « c’est un handicapé »
n’est « vrai » que relativement à un statut qui lui est délivré, non
pas relativement aux situations de handicap qu’il rencontre plus ou moins
souvent, mais relativement et exclusivement à ses caractéristiques
personnelles, déficience et incapacités. Quand on parle de personne handicapée,
on ne fait malheureusement pas référence seulement à un statut. On attribue
aussi à la personne des caractéristiques partagées par la catégorie à laquelle
elle est censée appartenir. Et en particulier, on lui attribue, à elle, les
facteurs handicapants : c’est parce qu’elle est sourde qu’elle est handicapée.
Et non : c’est parce que le monde majoritairement peuplé de personnes qui
entendent ne fait rien (ou pas grand-chose) pour les personnes qui n’entendent
pas que celles-ci vont rencontrer, dans beaucoup de leurs habitudes de vie des
situations de handicap et une certaine exclusion de participation sociale.
Le handicap n’est pas la situation de handicap, et il
importe de ne pas utiliser ces termes indifféremment.
Bonjour,
RépondreSupprimermerci pour cette réflexion intéressante. Savez-vous quand est apparue la terminologie "en situation de handicap". Est-ce qu'il y a un document ou un événement qui l'a exigée? On a parlé des "handicapés", des "personnes handicapées", des personnes "avec un handicap mental", à partir passe-t-on a "en situation de handicap"?
merci!
François Muheim
rédacteur de la Revue suisse de pédagogie spécialisée
www.csps.ch