Y a-t-il un avenir pour les enseignants spécialisés ?
La question est brutale. Les réponses peuvent l’être tout
autant, d’un côté comme de l’autre. Du côté d’une réponse positive à la
question, les arguments ne manquent pas. Il y a des profils d’élèves qui ne
peuvent se satisfaire d’un enseignement ordinaire, aussi différencié et
attentif aux différences soit-il. Quels bénéfices peuvent tirer des enfants
poly ou pluri handicapés d’une telle situation, d’une présence permanente, même
accompagnée d’une compensation humaine dans une classe ordinaire ? Quels
apprentissages peut faire un enfant sourd qui a besoin de la langue des signes
dans une classe où celle-ci n’est pas utilisée, ou ne peut être utilisée que de
manière anecdotique ?
Par ailleurs, les enseignants spécialisés ont mis en œuvre
des méthodologies, des pratiques, qu’ils ont pu développer dans l’adaptation et
en ayant à faire avec des publics spécifiques, et dont une petite partie
seulement est utilisable avec les autres élèves (pour des raisons autant
méthodologiques que de nombre). On en voit aujourd’hui une illustration avec
tout ce qui a été développé pour les élèves avec des troubles du développement
ou de l’attention. De ce point de vue, les enseignants spécialisés seraient
nécessaires, quelle que soit l’évolution de l’école, même si leurs missions
doivent évoluer dans la perspective d’un accompagnement des élèves et des
professionnels vers la scolarisation inclusive. Cette évolution est d’ailleurs
dorénavant inscrite dans la réglementation avec la nouvelle certification
d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI). Et
les enseignants spécialisés s’avèrent d’autant plus nécessaires que les
pratiques réelles d’inclusion rencontrent des obstacles massifs dans le
fonctionnement contemporain de l’école.
Mais d’un autre côté, une réponse négative à la question a
aussi des arguments tout aussi fondés. L’horizon inclusif, dans son principe,
se donne comme objectif d’accueillir tous les élèves, chacun d’entre eux ayant
des besoins particuliers. Cet accueil se conçoit comme une adaptation et une
accessibilité pédagogiques de tous les élèves, qui peuvent s’accompagner
éventuellement de compensation humaine importante.
Dans ce contexte, la présence en classe d’un élève poly ou
pluri handicapé se justifie dans l’articulation entre la présence humaine
compensatrice et l’adaptation pédagogique de l’enseignant aux besoins
particuliers de cet élève : aménagements, méthodologies, temps, rythme,
compétences… Avec des réserves toutefois : si la compensation doit être
elle aussi pédagogique, c’est un enseignant spécialisé qui devrait intervenir
(c’est le modèle de « l’intégration » italienne). Un enfant sourd
peut bénéficier d’une accessibilité de la communication (interprète ou
interface en langue des signes ou codeur en langue française parlée complétée)
et de la pédagogie. Avec des réserves toutefois, celle de l’existence d’un
groupe significatif de pairs de jeunes sourds avec qui il pourra communiquer au
quotidien et dans les apprentissages, et en gardant à l’esprit qu’il peut y
avoir des apprentissages qui ne peuvent se faire qu’avec des approches
spécifiques (autour des apprentissages du lire-écrire en particulier).
On voit que les réponses ne sont pas simples, et que
l’analyse est brouillée par les conditions actuelles de fonctionnement de
l’école : son fonctionnement actuel est loin d’être accessible, notamment
sur le plan pédagogique, à la diversité des élèves. Dans ce contexte, la
disparition des enseignants spécialisés serait catastrophique. De l’autre côté,
ceux-ci ne peuvent plus se prévaloir de domaines réservés auprès de populations
cibles (comme c’est encore le cas pour des élèves sourds), celles-ci étant
désormais plus ou moins dans des dispositifs inclusifs, et échappant ainsi à
des compétences enseignantes qui leur seraient exclusivement dédiées. Il s’agit
peut-être de trouver un équilibre et une articulation entre deux
idéologies : la crispation sur des méthodologies spécialisée exclusives et
une inclusion sans question dans une école qui résiste aux changements.
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