Clients, usagers, changements ...
Echo des évolutions des mentalités, l’action médico-sociale
s’inscrit de plus en plus en termes de prestations, et les personnes
bénéficiaires deviennent des usagers clients. Des préoccupations institutionnelles
de places, on passe à un recentrage sur les bénéficiaires avec la notion
d’accompagnement. Dans ces évolutions organisationnelles et de relations
professionnelles, l’usager/client tient une place légitimement de plus en plus
importante, formalisée par exemple par le projet personnalisé ou la
contractualisation. Il va sans dire que, dans ce contexte, l’avis, les besoins,
les demandes et les choix de l’usager comptent. Il va sans dire aussi que dans
ce cadre les « institutions », établissements et services, doivent
impérativement satisfaire les usagers dans la mesure maximale du possible,
jusqu’à se « désinstitutionnaliser ». Mais on peut souscrire à ces
évolutions pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Parmi les « mauvaises » raisons, il y a celle qui
voudrait réduire et assimiler, sur un postulat idéologique, les rapports
humains à celui de consommateur/client. Il ne faut pas avoir peur du mot
« client » nous dit-on, injonction assortie d’un jugement moral
reléguant aux horreurs d’un passé révolu toute résistance à utiliser le terme.
Effectivement, ce que met en avant l’utilisation de ce terme, c’est la
préoccupation première de faire valoir les droits de la personne, de prendre en
compte ses besoins et ses souhaits, de lui permettre de développer son
autonomie et son « empowerment », et de mettre les
professionnels au service de ces personnes. A ce titre, le terme opère une
rupture radicale avec les pratiques antérieures où les actions étaient
organisées du point de vue des institutions et des services dont ils étaient
dotés, sans véritablement se préoccuper du point de vue des personnes.
Témoignait de cette posture le principe de justification suivant :
« C’est pour leur bien !».
Mais un homme n’est-il qu’un client ? La généralisation
de la réduction de l’humain à un rapport client/fournisseur de prestations
passe à côté de la complexité de la vie humaine. Elle développe une définition
de l’humanité comme un ensemble de consommateurs porteurs de droits, ce qu’elle
est indéniablement. Mais ce n’est peut-être pas cela qui est en mesure de faire
société. La citoyenneté par exemple ne peut se satisfaire de cette vision
hémiplégique de l’homme : celui-ci a certes des droits, fondamentaux, mais
aussi des devoirs, fondamentaux également. L’hypertrophie de l’individu,
révélée par la notion de client, ignore les devoirs qui font société. Une
orientation de la philosophie de l’intervention médico-sociale dont la base est
l’individu considéré comme client d’un monde conforme aux diktats économiques
dominants s’interdit de penser les conditions d’un vivre ensemble et d’une
société inclusive.
Il est aussi une autre raison, utilitariste et parfois
cynique, à ces orientations : les institutions coutent cher, et leur
transformation en services constitueraient une économie substantielle. En tout
cas, c’est ainsi que des décideurs et technocrates présentent les choses. Mais
l’expérience montre aussi que lorsqu’une telle orientation est réalisée avec la
volonté première de rendre les choses moins coûteuses, c’est généralement avec
des conséquences désastreuses. L’exemple de la transition de la scolarisation
en établissement spécialisé vers une scolarisation en milieu ordinaire, avec
des coûts revus à la baisse, témoigne de l’impasse des mauvaises raisons de ces
évolutions.
Il est bien dommage que de telles mauvaises raisons nuisent
à l’effectivité de changements nécessaires à la meilleure reconnaissance des
personnes en situation de handicap, et pire, deviennent dissuasives pour des
acteurs (parents, professionnels) qui pourtant pourraient y souscrire.
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