Le stigmate dans la peau
Chloé a sept ans. Le diagnostic de sa déficience ou de ses
troubles est relativement indéterminé. Toujours est-il qu’elle se trouve dans
des situations de handicap complexes relativement à la communication (elle s’exprime
très peu et très mal, mais elle comprend quand on s’adresse à elle), aux
apprentissages cognitifs (retards et difficultés) et à la relation aux autres
(attitudes et comportements pas toujours ajustés socialement). C’est une petite
fille qui déstabilise de manière importante les professionnels, et d’autant
plus qu’il manque des connaissances sur les raisons et les causes de cette
situation.
Cette petite fille a eu une orientation en ULIS, et elle a été scolarisée dans un dispositif accueillant des enfants ayant une déficience auditive et des enfants présentant des troubles du langage (dysphasies). Dans le cadre du projet d’école, qui organisait des décloisonnements entre les classes, y compris avec l’inclusion des élèves de l’ULIS, Chloé s’est retrouvée, pour des raisons organisationnelles (créneaux de décloisonnement, contraintes des créneaux de soins…) dans un temps d’initiation à l’anglais.
Elle était également accompagnée par un service de soutien.
La psychologue de ce service, partageant l’inquiétude des professionnels par
rapport à Chloé et à ses possibilités de participer à un décloisonnement dans
ces conditions, va observer l’élève en classe et « diagnostique »
qu’elle est en souffrance lorsqu’elle est hors de l’ULIS, c’est-à-dire en
inclusion en classe avec des enfants ordinaires. Elle pointe des signes
manifestes (balancements, se cogne un peu la tête) et décrète par conséquent,
sur la base de son expertises professionnelle, qu’il faut l’enlever de ce temps
d’inclusion pour la remettre à temps complet dans l’ULIS.
Le discours des parents n’est pas le même : ils voient
leur fille rentrer heureuse de l’école, et … babiller et chantonner les
comptines anglaises apprises pendant ce temps, et en être très heureuse. Et ils
ont l’intuition, dans une approche plus écologique de la situation de Chloé
dans l’environnement scolaire qu’elle est heureuse dans l’école, et au moins
autant dans les temps d’inclusion que dans les temps de dispositif spécialisé,
où les choses ne se passent pas toujours bien. Ils ne sont pas certains qu’elle
fasse des apprentissages dans les formes requises (mais de toutes façons
personne ne sait encore comment les optimiser), et ses relations avec les
autres (y compris les enfants « ordinaires » qu’elle fréquente) se
sont plutôt améliorées. De l’avis également des professionnels non spécialisés
(enseignant, AESH) Clara n’apparait pas en souffrance dans ces différents
contextes d’inclusion.
Mais alors pourquoi un tel « diagnostic »
expert ? On peut penser que le diagnostic est la projection d’une
représentation subjective de la psychologue, qui consisterait en une
équation : situation de handicap = déficience ou handicap = vulnérabilité.
A partir de cette équation, la réalité, l’observable e l’observé, vont être lus
sur ce registre d’explication, sur cette episteme dirait Michel
Foucault. Il y a une attente d’une souffrance, puisqu’une personne vulnérable
peut être parfois en situation de souffrance dans son environnement qui n’y est
pas attentif, et ainsi apparaitront des signes de souffrance. Ce n’est plus la
déficience qui détermine une conséquence sociale, ce sont les caractéristiques
ontologiques et les stigmates attribués aux personnes qui ont une déficience
qui amènent mécaniquement à des conséquences sociales, ici celle de la
souffrance. (Cette « évaluation » va d’ailleurs conduire à une
orientation en établissement spécialisé).
Dans ce paradigme, le monde ordinaire prend une
configuration de repoussoir, de danger, auquel il faudrait soustraire des
victimes vulnérables. Sans comprendre que cette vision est l’expression d’un
modèle de pensée défectologique, en contradiction avec d’autres visions, plus écosystémiques.
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