Un rapport de plus sur les élèves en situation de handicap ?
Résumé
Un nouveau rapport
parlementaire rappelle, l’existence récurrente de nombreux obstacles et
dysfonctionnements dans la scolarisation des élèves en situation de handicap et
fait un certain nombre de propositions d’améliorations. On peut s’interroger
sur les effets d’un tel rapport, en l’absence de prise en compte de ses
résultats dans l’élaboration récente des textes législatifs sur l’éducation.
Dans ses conclusions le rapport fait l’équilibre entre des conditions
insatisfaisantes de l’accueil des élèves en situation de handicap dans l’école
pour tous et des conditions pour l’heure capables de répondre aux besoins de
ces enfants dans les dispositifs spécialisés, sans s’interroger toutefois sur
la pertinence politique de ces derniers.
Mots clés
Accessibilité,
accompagnants, école inclusive, établissement spécialisé, formation des
enseignants, pôles inclusifs, scolarisation, situation de handicap.
********
La rentrée de septembre 2019, comme les rentrées précédentes et vraisemblablement comme les rentrées futures, semble avoir été un enjeu majeur pour la scolarisation inclusive des élèves en situation de handicap. Tout d’abord parce qu’une loi générale sur l’éducation, la loi sur l’école de la confiance[1],comprend dans plusieurs de ses articles des dispositions relatives à ces élèves. Ensuite parce que la communication ministérielle sur la réalisation du « grand service public de l’école inclusive » a été, avant et après la publication de la loi, extrêmement importante. Parallèlement, la rentrée scolaire a vu relatés, certes quelque peu masqués par la communication ministérielle, de nombreux incidents et dysfonctionnements dans la réalité de la mise en œuvre de cette école inclusive : enfants handicapés refusés dans l’école, enfants non scolarisés, accompagnants absents ou insuffisants par rapport aux prescriptions, manque de places, etc. Cette rentrée revêt également un intérêt particulier par la remise d’un rapport parlementaire sur ce sujet[2].
Enregistré en juillet
2019 à l’Assemblée nationale, le rapport a été rédigé au nom de la commission
d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de
la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005 (présidente de la
commission, Madame J Dubois, rapporteur Monsieur S Jumel). Il s’agit d’un
rapport consistant, 180 pages assorties de 57 propositions, issu d’une
commission d’enquête qui a mené des concertations sérieuses et discrètes auprès
de nombreux acteurs de la scolarisation des élèves et étudiants en situation
handicap.
Un rapport de plus ?
On peut se le demander en effet, d’abord au regard des nombreux rapports qui
ont été produits par des politiques et des chercheurs pendant ces quatorze ans
sur ce même thème de la scolarisation et de l’inclusion des élèves en situation
de handicap. Mais on peut se le demander également à la lecture du contenu de
rapport, qui rappelle avec force des constats déjà faits dans les précédents
rapports et réitère les propositions de ces nombreux rapports. Il n’est certes
pas inutile de rappeler dans un rapport ce qui ne fonctionne pas, ce qui
devrait être fait, etc. A condition que cela se concrétise dans les politiques
et les pratiques.
Ce rapport va-t-il servir
à quelque chose ? On peut se le demander légitimement. En effet, il est
extrêmement curieux que ce rapport d’enquête, réalisé au printemps 2019 (de
mars à juillet 2019), remis au Parlement le 19 juillet, ne semble pas avoir
inspiré les travaux de Parlement et des instances ministérielles dans
l’élaboration et la rédaction du la loi du 28 juillet sur l’école de la
confiance, annoncée comme celle du « grand service public de l’école
inclusive ».
L’exemple le plus
emblématique de cette « dissonance » concerne les PIAL, les pôles
inclusifs d’accompagnement localisés. Le rapport leur consacre une dizaine de
pages, argumentées, étayées, renseignées, inspirées des points de vue de
nombreux acteurs (parents, professionnels, responsables politiques et
syndicaux…) et conclut à des préconisations de prudence quant à la
généralisation de leur mise en œuvre : « une généralisation
précipitée et sans évaluation préalable qui pose un problème de méthode »
(p.155) ou encore « une mutualisation de l’accompagnement érigée en
principe, qui pose un problème de fond » (p.157), avec l’évocation des
risques d’une norme d’aide collective au détriments des aides individuelles, et
ceux d’une remise en cause du rôle de prescripteur de la MDPH. Des réserves et
de la prudence de ce rapport, il ne semble pas en avoir été question dans la
rédaction de la loi sur l’école de la confiance : il est quand même
paradoxal que le grand service public de l’école inclusive se prépare et s’organise
sans la représentation politique et avec une concertation, dont il a été dit
qu’elle fut importante, visiblement tronquée.
Si ce rapport n’a pas
servi aux politiques et technocrates qui ont préparé la loi, il n’est pas
inutile pourtant de le connaitre. Il est même éminemment indispensable pour
connaitre la réalité et les difficultés de la mise en œuvre de la scolarisation
(inclusive et spécialisée) des enfants en situation de handicap. Il donne une
image contrastée de l’état de l’inclusion et de l’école inclusive, loin du
« tout va bien » auto-persuasif et béat diffusé par une communication
omni-présente des ministères concernés et qualifiant de changement radical les
autres mesurettes mises en œuvre par la loi. Les mots, ici, abondamment
diffusés par la communication ministérielle, dissimulent la vérité des choses.
Que dit ce rapport ?
Il serait évidemment trop long de reprendre les principales analyses et les
recommandations qui en découlent. Ce qui est remarquable, c’est la constance
avec laquelle les rapports successifs depuis 2005 pointent les mêmes
difficultés, à croire que rien n’a changé depuis 2005. Les choses changent
cependant, en témoignent les nombreuses initiatives mises en place au niveau
institutionnel[3], mais à une vitesse telle que les principaux
nœuds de crispation demeurent, ce qui explique que ce nouveau rapport semble
redire ce qui a déjà été dit.
L’un de ces immobilismes
concerne le projet personnalisé de scolarisation, réglementé rapidement après
la publication de la loi du 11 février 2005, de nouveau règlementé dans les
années 2014-2015 avec l’harmonisation de l’outil Projet Personnalisé de Scolarisation
(PPS) et l’utilisation de la grille GEVASco. Et cependant « le PPS est au
demeurant rarement formalisé. » (p.25). De même le constat que « le
nombre d’élèves et d’étudiants en situation de handicap n’est que partiellement
connu » (p.22 et sq) est récurrent et donne lieu, depuis bien avant la loi
de 2005, à des préconisations et des injonctions, qui ont certes amélioré les
recensements de population, mais qui restent loin d’être satisfaisants pour
garantir un service éducatif de qualité à destination des jeunes en situation
de handicap.
L’absence ou
l’insuffisance de mobilisation de moyens est aussi une constante de ces
rapports, et celui-ci ne manque pas de la rappeler : « pas assez
d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) et pas assez
d’accompagnants au sein des ULIS » (p.40), « un nombre insuffisant
d’enseignants référents » (p.42) et « des moyens qui n’ont pas évolué
au même rythme que les missions confiées aux MDPH » (p76). Dans le même
ordre d’idées, le rapport rappelle « la nécessité de ménager du temps pour
la concertation et pour des formations communes » (p120)
La réduction des effectifs
des classes dès lors qu’elles accueillent et scolarisent des élèves en
situation de handicap s’avère comme une des conditions incontournables
d’amélioration, dont l’argumentation est développée sur trois pages (p.90 à
92). Là non plus les choses ne sont pas nouvelles : tous les acteurs et
les chercheurs ont attesté que la taille des classes avait des effets sur la
possibilité d’accueillir un enfant en situation de handicap, et sur la qualité
de cet accueil, mais il semble que c’est l’une des premières fois qu’un rapport
indique avec autant de précisions une telle orientation.
Le rapport pointe aussi,
ce n’est pas une surprise, « les carences de la formation des enseignants
à l’accueil et à la prise en charge des élèves et étudiants en situation de
handicap » (p109 et sq) en indiquant le recul de la formation spécialisée,
et l’inadaptation de la formation initiale et continue.
Le rapport balaie aussi,
de manière approfondie, d’autres écueils ou dysfonctionnements propres à créer
des obstacles à une scolarisation de qualité des enfants en situation de
handicap. : bien évidemment la situation des accompagnants, dont les
conditions de statut et d’exercice font l’objet de constats et de
préconisations depuis le début de leur présence à l’école, les modalités de la
scolarisation en établissement spécialisé, l’inégalité de la scolarisation dont
sont victimes les enfants de milieux défavorisés, les insuffisances de
l’accessibilité, etc.
La lecture de ce rapport
est riche d’analyses sur le fonctionnement actuel de la scolarisation des
jeunes handicapés, et serait susceptible d’éclairer tant les concepteurs que
les acteurs de la mise en œuvre de cette scolarisation. Mais en dehors de
quelques points, certes importants et bienvenus dans la dernière réforme (délais
de traitement par les MDPH, coopération entre l’éducation nationale et le
médico-social, outils d’adaptation des contenus pédagogiques, prise en
considération de l’expertise des parents, l’accompagnement sur les temps
péri-scolaires, ...), rien dans le fond ne change : le fonctionnement
structurel de l’école reste le même, celui d’une différenciation sélective dans
laquelle les élèves handicapés sont perdants, les ressources (d’emploi, de
formation, d’organisation scolaire, de reconnaissance) restent indigentes, et
les préconisations de prudence sont ignorées.
Certes, le rapport est
critiquable. Et en particulier, on pourrait lui reprocher de rester dans la
gestion de l’existant, faisant d’une certaine manière la balance entre les
insuffisances structurelles du fonctionnement du système éducatif et des
fonctionnements anciens donnant encore plus ou moins satisfaction faute de
conditions acceptables dans l’éducation nationale. L’existant se caractérise,
en effet, par des conditions défavorables d’inclusion dans l’école ordinaire
(explicités dans nombre de passages du rapport), et l’existence de nombreuses
institutions spécialisées répondant à des besoins identifiés comme n’ayant pas
de réponses ou des réponses insatisfaisantes dans le système éducatif pour
tous.
Ce qui fait dire à la
commission d’enquête que le nombre de places en établissement spécialisé est
insuffisant (p.45), de signaler « la nécessité de conforter les instituts
nationaux de jeunes sourds ou aveugle dans leurs missions et leur statut »
(p.52) et de souligner « les limites de la désinstitutionalisation »
(p.50). On peut ici comprendre que la prudence soit de mise, lorsqu’on
considère effectivement les conditions concrètes de la scolarisation des
enfants en situation de handicap dans l’école ordinaire, et qui est rappelé
comme des faits objectifs dans le rapport : insuffisance d’adaptations
pédagogique, carences de la formation, effectifs des classes, insuffisance de
accompagnements, des dispositifs dans les établissements. Il faudrait y
rajouter, et qui n’est pas énoncé dans le rapport, la réticence
« idéologique » ou éthique à accueillir des enfants différents, à
travailler dans l’hétérogénéité, à apprendre ensemble ; toutes
caractéristiques qui ne sont pas seulement des positions individuelles des
enseignants, mais l’effet de la mise en œuvre politique et pratique d’une école
inégalitaire[4].
Le rapport fait en effet
l’impasse sur la « nature » de l’école et de sa fonction de sélection
et de reproduction sociale qui se caractérise aujourd’hui par des principes de
fonctionnement non inclusifs : classes ou établissements ghettos,
dispositifs d’entre-soi scolaire, absence de différenciation pédagogique, etc.
Or tant que l’école se situe sur des principes d’inégalité de conditions
d’apprentissage, et en dépit d’un discours volontairement inclusif, il est vain
de prétendre donner toute leur place à ces élèves en situation de handicap.
Tout positionnement
aujourd’hui sur la scolarisation des élèves en situation de handicap, et par
conséquent tout positionnement sur l’inclusion, oscille, dans ce contexte,
entre deux axes. D’un côté, les dispositifs spécialisés existant, qui apportent
effectivement des réponses plus ou moins satisfaisante aux problématiques de
ces élèves, mais qui dans le même temps sont des instruments d’exclusion d’une
catégorie d’enfants de ce à quoi participent tous les autres enfants et
d’impossibilité d’accès à des droits fondamentaux. De l’autre côté une école
censée être ouverte à tous mais dont les réponses aux problématiques sont
encore largement absentes, voire font courir des risques (une simple présence
physique par exemple, sans adaptations), organisant de fait des situations
d’exclusion.
On peut comprendre que
dans ces conditions le rapport reste prudent, et que la reproduction de
l’existant des dispositifs spécialisés soit préconisée, plutôt qu’une
injonction (insurmontable par ailleurs) à modifier radicalement les conditions
organisationnelles et pédagogiques d’accueil et d’apprentissage d’enfants dont
l’inclusion, de droit et de fait, n’est pas encore acquise. En définitive, les
questions que posent ce rapport sont celle de la gestion de l’incohérence
apparente entre un désir politique collectif de l’inclusion et d’une plus
grande égalité de droits, et des pratiques et organisations qui ont pour effet
des différenciations inégalitaires et des exclusions
[1] Loi du
28 juillet sur l’école de la confiance : https://www.education.gouv.fr/cid143616/28-juillet-2019-promulgation-de-loi-pour-une-ecole-de-la-confiance.html
[2] Rapport
sur l’inclusion des élèves dans l’école et l’université …. http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-enq/r2178.pdf
[3] Voir par
exemple : GALLET C. & PUIG J., L’aide humaine à l’école,
INS-HEA et Champ social, 2017.
[4] Voir à
ce sujet le dernier ouvrage de MEIRIEU P., La riposte, Editions
Autrement, 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire